26.2.09

la qualité d'image est si véridique qu'elle s'est endormie.

Lorsque les lumières se rallument, inondant d'une clarté brutale la petite salle de cinéma, l'écran affiche encore le dernier plan du film, surmonté d'un « The End » imposant, et j'ai l'impression de renaître en même temps que les couleurs fatiguées des sièges, plongées dans l'obscurité depuis plus de deux heures. Les rares personnes qui ont assisté à la projection, la jeune fille brune qui m'accompagne, moi, personne ne dit un mot, encore sous le coup de ce qui vient de se passer. Pourtant, vu la moyenne d'âge, nous devions tous savoir en rentrant dans cette salle que Manderley allait finir en cendres, que la gouvernante s'y immolerait en souriant et qu'il ne faut pas prendre Hitchcock à la légère, quelle que soit le nombre d'années qui nous sépare de son oeuvre.

Je frotte mon visage incrédule et appuie mon front sur le siège de devant. Objectivement, je suis probablement resté ainsi pendant quelques secondes seulement, mais je n'ai pas encore récupéré ma notion du temps. Je finis par me retourner vers elle et lui souris nerveusement -sourire qu'elle me rend difficilement, une fois qu'elle a décroché ses yeux de la toile redevenue inerte. Ma main plonge d'elle-même dans mon blouson roulé en boule à mes pieds -il a du tomber pendant le film- et en ressort deux cigarettes. Je lui en tends une.

- Oh, ouais, carrément, répond-elle en se levant, apparemment de manière bien trop brusque pour les autres spectateurs.

Nous récupérons nos affaires et sortons du cinéma. Je la suis dans le hall désert, (je crois qu'il est pratiquement minuit) elle et ses deux barrettes bleues, suspendues de toutes leurs forces à ses cheveux noirs. Elle porte un jean moulant bleu foncé, un chemisier à rayures bleues et blanches, un pull noir. Lorsque je la dépasse pour lui ouvrir la porte en fer qui donne sur la place, je remarque qu'elle a changé de parfum. Si tant est qu'elle en ai mis. Mais ce serait bien la première fois qu'elle n'en mettrait pas alors que nous passons la soirée ensemble. Enfin, je laisse doucement la porte chuter dans le silence particulier d'un cinéma fermé.

Dehors, la nuit a pris ses aises, elle a même amené avec elle ce froid qui ne semble plus la quitter depuis une éternité, et quelques passants déambulent encore dans la rue,parfois en groupes, parfois main dans la main, souvent ivres, tous enfouis sous des dizaines d'épaisseurs différentes. La cigarette coincée entre ses lèvres charnues, d'un rose foncé qui va si bien avec sa peau, elle tend la main pour que je lui passe un briquet. J'allume la mienne avec un paquet d'allumettes trouvé je ne sais plus où, et lui passe le paquet machinalement. Tout son visage se tend lorsqu'elle aspire la fumée, et je la regarde l'exhaler rapidement, mêlée à son haleine que le froid rend visible -ses yeux se perdent quelque part sur le sol.

- Putain, finis-je par lâcher, en ayant laissé traîné la première syllabe lentement. À ce moment là, un courant d'air froid s'insinue sous ma chemise et le sillon glacial qu'il laisse derrière lui me fait grelotter violemment.

- C'est le mot, mon grand.

Elle finit par me regarder; ce sont toujours ces iris bruns tellement banals que je les trouve exceptionnels. Comme j'avais cru comprendre avant la séance - ce qui me semble être une époque aussi lointaine que lorsqu'elle n'avait d'yeux que pour moi- qu'elle avait faim, je lui propose d'aller au MacDo, puisqu'il n'y a rien d'autre d'ouvert à cette heure-ci, sauf des échoppes de kebab qui provoqueraient une crise cardiaque chez n'importe quel inspecteur du Service de l'Hygiène. Elle acquiesce vivement de la tête et passe devant.

Pendant le trajet, nous avons une conversation si superficielle que c'en est affligeant. Enfin, pour une tierce personne, elle ne serait pas si affligeante que ça; mais on parle du film, et rien que le fait d'en parler -quoi qu'on en dise-, ça a l'air incroyablement moins profond que ce qui vient de se passer, dans la petite salle que nous laissons derrière nous. Je ne parle pas beaucoup, je me contente d'acquiescer à chacune de ses remarques, et parfois de renchérir en utilisant en bout de mon vocabulaire technique du cinéma qui, même limité, crée l'impression que je suis compétent en la matière. Un couple nous croise, littéralement imbriqués l'un dans l'autre, et ça la fait rire. Au fur et à mesure que nous remontons la rue piétonne, aux dalles glissantes et aux murs blafards, ses pas s'accélèrent -l'appel de la faim, chez une jeune fille ?- et elle continue de parler, même si elle ne désire apparemment pas avec aucune interaction d'aucune sorte avec moi; ses mots semblent plutôt tenir le silence en respect, ce silence qui guette au tournant de chaque phrase, menaçant de prendre ses quartiers définitivement. Heureusement pour elle -et pour moi ?-, les bouffées qu'elle tire frénétiquement sur sa cigarette lui procurent quelques instants de répit, encore eut-il fallu qu'elles eussent été méritées, jusqu'à ce que nous arrivions devant ces lourdes portes vitrées desquelles il semble toujours émaner cette odeur qui nous écœure et nous allèche en même temps, tout comme on ne peut s'empêcher de passer sa langue sur une gencive trop sensible. De l'autre côté, quelques tables sont empilées dans une lumière tamisée, une serpillère traîne sur le sol, intruse grise dans un monde jaunâtre, et, au fond, des centaines de burgers rangés militairement sur des plateaux en fer blanc, luisants sous les néons vacillants.

Sans se préoccuper du fait qu'il semble n'y avoir personne à l'intérieur, elle entre en s'affaissant de tout son poids sur l'un des battants, qui résiste; elle manque de trébucher lorsque les gonds se débloquent, et toutes les effluves graisseuses se répandent au dehors. Je n'ai pas fini ma cigarette mais je la jette nonchalamment derrière moi, sans la regarder ricocher, et marquer chacun de ses impacts au sol par une gerbe de braises. Elle ne m'a pas attendu et, appuyée sur le comptoir, elle se hisse sur la pointe des pieds -même si elle porte des talons, ce qui me fait sourire- pour essayer d'apercevoir un caissier dans le dédale des cuisines qui s'étend sous nos yeux, friteuses, égouttoirs, fours et autres postes de travail rutilants, lavés après une journée de labeur de plus. Il n'y a vraiment personne. Sur notre gauche, un escalier qui baigne dans une semi-pénombre est barré par des chaises pour enfants en bois sombre avec des dessins de clown sur les dossiers. À droite, à quelques mètres seulement, il y a une seconde sortie -le bâtiment fait le coin-, avec les mêmes portes vitrées nous remerciant de notre visite et laissant transparaître ces mêmes silhouettes de jeunes groupés hurlant leur ivresse, ces mêmes jeunes femmes en robe longue, le portable collé à l'oreille -« Allô ? Mais vous êtes OÙ ? »-, ces mêmes clochards errants dans les mêmes rues qu'ils ont sillonné hier soir. C'est dingue ce que cette ville peut ne pas changer, depuis le temps que j'y habite, et c'est dingue ce que les gens semblent ne pas changer.

Je suis toujours au milieu de la salle, entouré par une horde hétéroclite de chaises, de tables, de sacs poubelles et d'affiches diététiques froissées. Au moment où je m'approche d'elle, ou plutôt de son dos, de sa nuque découverte par ses cheveux qui reposent tantôt sur une épaule, tantôt sur l'autre, puisque sa tête cherche frénétiquement, de droite à gauche, quelqu'un qui puisse la servir, pour lui dire qu'en fait on peut trouver de quoi dîner trois rues plus loin -une invitation à dîner !-, un roulement de tambour se fait entendre, des pas dans l'escalier. Elle se retourne instantanément, son épaule frotte contre ma chemise, et observe un type, maigre comme la mort, les yeux s'agitant dans tous les sens, prisonniers de leurs orbites, enjamber tant bien que mal la barricade de chaises pour moins de 36 mois.

Il bafouille quelques mots d'excuse, elle commande et, deux minutes plus tard qui m'auront semblé être une éternité -Alfred, encore ?-, nous ressortons de l'autre côté, débouchant sur un carrefour qui, sous la bruine froide ayant commencé à recouvrir toute la ville de son voile éthéré pendant que nous étions encore à l'abri, semble étendre ses quatre artères jusqu'au bout du monde; les pavés qui brillent sous les rayons crus des lampadaires ressemblent à un chemin d'étoiles. Elle, s'en fout, et emprunte la rue d'en face, mordant avidement dans son sandwich.

Les grands immeubles de pierre beige encadrent sa silhouette qui s'enfonce dans une obscurité percée par les les reflets que projettent phares et plaques d'immatriculation, découverts par les réverbères solennels bordant la rue dans laquelle je me trouve encore. La bouche à moitié pleine d'un hamburger qu'elle tient fermement dans sa si petite main, elle essaie d'articuler ce qui, j'espère, est une invitation à la suivre. Je fais mine de ne pas vouloir suivre ses pas, que j'emboite sans hésiter à la minute où elle continue son chemin. Pendant quelque temps, nous marchons quasiment côte-à-côte, séparés de cinquante incompressibles centimètres, dans un dédale de rue semblant avoir été tracé au hasard par un urbaniste qui, un soir, ivre, aurait jeté son anticonformisme à la face du monde en refusant de faire un seul angle droit, une seule route lisse, un seul trottoir suffisamment large pour qu'on puisse marcher à côté de quelqu'un sans le toucher. Et pourtant, elle semble désespérément loin de moi et sa main qui, cet été, se balançait puérilement à la recherche de la mienne, essuie désormais ses adorables lèvres graisseuses. Nous passons silencieusement devant un appartement illuminé, criard, fumant, d'où jaillissent des rafales de basses; et lorsque nous nous arrêtons pour qu'elle puisse voir -en se hissant jusqu'à la fenêtre- si elle connait quelqu'un, parmi les corps adolescents qui vaquent au milieu du salon, je peux voir ses cheveux -ces mèches fines qui à contre-jour, forment une auréole- vibrer discrètement sur ses épaules. Déçue, elle continue sa route et je la suis, n'essayant même plus d'entamer la conversation; quelle conversation ? Son pas régulier, ses bottines semblent savoir parfaitement où aller, et je les suis aveuglément, je les suis sans perdre de temps, je les suis presque avec mon sang.

Dès que, au détour d'une courbure du trottoir, des rires retentissent contre les pavés encore humides, et rebondissent contre les nuages amassés si bas, elle bifurque à l'opposé en faisant valser ses cheveux et son sac à main de cuir scintillant. Dans la nuit qui nous enveloppe, le genre de nuit qui nous fait oublier qu'il a déjà fait jour, je me résous à lui agripper le bout de la manche et, pendant une fraction de seconde, j'ai l'impression qu'elle continue à marcher, comme si je m'étais noyé dans un lac gelé, englouti par la glace qui se fissure et se referme au-dessus de mes mains affolées et les cris qui s'échappent de mes poumons sous forme de si jolies bulles d'air. Puis la mortelle et transparente couverture s'évapore et son visage m'apparaît.

- Qu'est-ce qu'il y a ? demande-t-elle comme une mère qu'on dérange pendant qu'elle téléphone.

Au diable Hitchcock, les étoiles et mes divagations. L'adolescente qui se tient impatiemment devant moi, banale, belle, si banale, m'a renvoyé hors de la notion que je me fais du temps. Je m'étais entraîné si souvent a répéter ces mots, sous la douche, sur ma mobylette, sous ma couette, que je ne suis plus capable, face à son regard qui se fiche dans mes yeux -je ne sais plus si je la regarde encore- de dire quoi que ce soit. Et pourtant, deux ans, deux minutes, deux vies plus tard qu'elle ne l'aurait voulu, une partie inconsciente de mois et inconsciente des conséquences que cela aura sûrement, lui dit que le grand garçon aux cheveux sales et bouclés, les mains fichées dans les poches, qui se tient avec une assurance de plus en plus bancale devant elle, est fou amoureux d'elle.

Je ne vois pas sa réaction, je ne vois plus que moi, nu, mon armure de chevalier sans peur et sans reprochant valsant dans l'air froid de la nuit qui la faisait frissonner, il y a quelque temps. Dans ce silence écorché, sa voix surgit de nulle part, tout autour de moi.

- Mais, … Je sors avec Clarence, maintenant, tu ne peux pas me faire ça, pas maintenant, bafouille-t-elle d'une voix nerveuse qui serre mon cœur dans son étau involontaire.

Personne n'en a rien à foutre, que tu sortes avec un quelconque inconnu qui n'a pour mérite que d'avoir un pull Abercrombie&Fitch, personne ne vous prend au sérieux, ta jeunesse affreusement peu volage et toi. Et moi, je ne vois pas pourquoi tu devais absolument répondre ce que n'importe quel scénariste de mélodrame américano-médiocre aurait fait dire à une grande blonde perchée sur ses talons, et sur la Cinquième Avenue.

Elle pense que mon silence l'impose de rajouter quelque chose, de justifier quoi que ce soit. Et alors que, toujours face à elle, même si ma main a laissé sa manche chuter jusqu'à heurter délicatement son bassin, ce bassin dont je connais tous les détails, je reviens doucement à une réalité qui me rit au nez, un clochard et son chien émergent d'un coin d'ombre derrière elle, l'un aussi ivre que l'autre est perdu. Le jeune titube jusqu'au trottoir, et traîne dans son sillage alcoolique sa bête par un collier fabriqué en corde de chanvre, probablement dénichée dans un chantier abandonné. Elle ne s'est pas retournée, et je les suis vaguement du regard jusqu'au moment où je me décide à lui dire que ce n'est pas grave, que tout restera pareil, que j'ai été con de dire ça -rien de plus facile pour effacer une erreur que de se déprécier spontanément. Je prends une brève inspiration, au moment où l'animal se retourne brutalement, arrachant ses liens des mains hésitantes de celui qui l'a trouvé. En quelques foulées, son museau touche le jean bleu foncé, et il ne lui faut moins d'une seconde pour se hisser sur ses pattes arrière et ouvrir la gueule. La première morsure arrache son oreille, des mèches de cheveux bruns et une barrette qui s'y était perdue. La seconde -elle est tombée à terre et hurle de douleur- lui emporte la peau soyeuse que j'ai caressée mille fois. La troisième enfonce des crocs jaunâtres dans sa gencive révélée. La cinquième et la sixième s'occupent de son petit nez et de ses yeux noisettes -les hurlements se font plus faibles, elle a du mal à reprendre sa respiration, mais elle continue à gigoter. Au bout d'un moment, alors qu'il a mis a nu son épaule droite et qu'il l'embrasse férocement avec sa gueule noire, je lance mon pied sous sa mâchoire -un réflexe ?- et le vois reculer en titubant, avant de repartir en gémissant vers son maître ébahi -du moins, autant que lui permet l'alcool. Ils vacillent dans l'obscurité, et disparaissent à jamais.

Les trottoirs sont tellement étroits que même son corps fin traîne partiellement dans un caniveau si sombre qu'on pourrait s'en servir pour y tremper une plume et écrire un épitaphe à même le mur. Elle sanglote, et ses lèvres déchirées invoquent inutilement sa mère, son père, son frère, ce Clarence, pendant que ses doigts se hissent difficilement jusqu'à ce qui fut son visage pour palper ses blessures rouge vif -même son sang est envoûtant, si charmant qu'il sèche paresseusement sur son visage, refusant de choir sur le bitume sale. Je sors mon téléphone portable de ma poche, et trouve par la même occasion une cigarette alors que je pensais avoir fumé la dernière tout à l'heure, je compose un numéro des urgences et tombe sur la gendarmerie. Je n'ai jamais pu retenir ces numéros simplistes, me dis-je en allumant ma clope et en essayant un autre dix-quelque chose. Une secrétaire fatiguée me répond et je lui dis que je suis devant une jeune fille blessée par un superbe berger allemand, mais que je ne sais pas où je suis. Vu l'heure, elle pense que je suis ivre et me dit que c'est ridicule de ma part de lui faire perdre son temps et que, en ce moment, un illustre inconnu est peut-être en danger de mort, la tête gisant dans un caniveau; elle raccroche. Les mains palpent et les lèvres psalmodient toujours, ses paupières clignent très vite et ses iris bruns ne me regardent plus que par saccades. Je rappelle la secrétaire ménopausée et lui dis que je ne suis pas ivre et que la jeune fille a besoin d'aide. Elle m'engueule une nouvelle fois. Je finis ma cigarette dans un ciel qui s'éclaircit peu à peu, puis m'accroupis à côté du sac à main, cherche un portable, le trouve, déniche le numéro de téléphone de Clarence, l'appelle, lui dis que sa copine bien-aimée ne va pas très bien, raccroche et ai soulagé ma conscience. Je repose le portable dans le sac à main qui, lui, n'a rien et me laisse tomber contre le mur derrière moi, inébranlable. Mon pied touche le bout de ses orteils.

Elle respire encore, faiblement, mais régulièrement, et je me dis que c'est dommage, que je ne suis pas amoureux d'elle, que je suis juste en manque d'affection -il paraît que je suis aussi soumis à ces démons irascibles et agités qu'on appelle hormones-, que je voulais voir ce que ça faisait, une déclaration d'amour. Alors, je lui prends la main, douce et chaude, et j'attends qu'un nouveau jour nous enveloppe de son lot d'espoirs illusoires, hagards; Chloé, moi.

17.2.09

piss runner.

la première fois que je suis allé chez ce type, on entendait le bordel jusqu'en bas de l'immeuble, et les quelques soûlards qui vomissaient encore dans les rues injuriaient d'un voix rauque les silhouettes fumant des cigarettes qu'on distinguait au balcon. l'un d'eux alla même jusqu'à pisser contre la porte massive, à quelques centimètres de moi. il était encore entrain de secouer sa bite lorsqu'on m'ouvrit.
le on en question m'a dit qu'il était Charles. encore un prénom de bourgeois, ai-je pensé, et j'ai souri en disant que moi j'étais bourré et que c'était cool. il m'a emmené dans un escalier qui n'en finissait pas, sans me dire si c'était cool ou pas, et qui tournait autant sur lui-même que j'avais l'impression qu'il tournait sous mes pieds. j'ai regardé le tapis rouge et vert et, même si j'étais encore conscient d'en avoir vu des milliers d'autres semblables dans ma vie, celui-ci m'avait l'air particulièrement laid, et puant. je me suis accroupi un instant pour le caresser du bout des doigts et j'ai fini par dire à celui qui disait être Charles que pour rien au monde je ne dormirai là-dessus, dussé-je me faire enculer par un grand black qu'on voit parfois sur les rings de catch aux us. mais tout le monde sait que c'est du pipeau, le catch.
il m'a regardé comme si je lui avais demandé comment il allait, et m'a dit que j'étais cool. alors j'ai été content et, sur ce, on s'est remis à monter l'escalier, en piétinant le tapis rouge et vert. j'ai quand même fini par apercevoir le plafond; peint, le plafond, avec des anges frais et des saints sobres qui m'avaient l'air de prier le dieu de l'ennui. j'ai rigolé un peu, et le mec ne m'a pas demandé pourquoi j'ai rigolé. plus on montait vers les cieux, plus on entendait une musique beugler. enfin, on entendait surtout des grésillements de merde qui me donnaient encore plus mal à la tête que nécessaire.
on est quand même arrivés en haut, et il a ouvert une autre porte en bois et m'a fait rentrer dans une sorte d'appartement de riche intellectuel parisien, dévasté par une troupe de marins d'Amsterdam aussi ivres que moi. d'ailleurs, j'ai fait tomber une bouteille de quelque chose à moitié pleine en passant le palier. je l'ai regardée, j'ai vu que personne d'autre ne la regardait, alors je l'ai abandonnée sur le beau plancher ciré. dans ce qui était un salon qui puait la clope et le joint, il y avait des cadavres de bouteilles et de verres brisés qui jonchaient le sol, il y avait des bouts de nourriture ici et là, il y avait un vieux tourne-disque qui, au bruit que faisait le vinyle, avait besoin d'avoir son diamant changé et, autour de lui, quatre adolescents. trois assis, une couchée comme une putain, les jambes grandes écartées, le côté du visage reposant dans de la bile.
gros cliché.
gros gros gros cliché.
le type en face d'elle se marrait comme un cochon -on ne sait jamais pourquoi les cochons se marrent-, et ça m'a fait rire aussi. j'ai dit bonjour rapidement, parce que je croyais voir le soleil se lever, mais je n'en suis pas sûr. j'ai fait le tour de la salle pour trouver un mégot pas trop consumé, et j'en ai déniché un derrière une assiette sale. d'ailleurs, je crois que c'était la seule assiette dans la salle, ce qui m'a presque perturbé: en rallumant le mégot, je me suis vaguement demandé dans quoi ils avaient mangé, mais en fait ça ne m'intéressait pas tant que ça. le temps de faire un tour rapide de l'appartement méticuleusement foutu en l'air par une bande de jeunes qui croient être des durs parce qu'ils peuvent boire deux verres de vodka d'affilée sans vomir leurs tripes d'adolescents, et j'ai déjà fini mon semblant de clope.
alors je suis reparti m'asseoir auprès de Charles, mais je ne l'ai pas reconnu, alors je me suis laissé tombé à côté de la fille dans le coma -enfin, ça se voyait qu'elle respirait parce qu'elle faisait des bulles de vomi, donc personne ne s'inquiétait. les baffles, disposées de part et d'autre de la cheminée à laquelle on tournait le dos, hurlaient ce que j'ai cru être des cris de mujahidins qui s'élanceraient contre la maison blanche. les deux gamins à côté de moi secouaient la tête de manière complètement désordonnée, et ça n'avait aucun sens parce qu'il n'y avait pas de musique, juste un putain de bruit insupportable. alors je me suis étiré, et j'ai réussi à atteindre la platine, et j'ai baissé un peu le volume.
l'autre fille, blonde, a arrêté de bouger. elle avait les yeux très bleus et les lèvres terriblement désirables. mais j'avais du mal à m'imaginer entrain de la baiser, elle ressemblait un peu à une gamine dont je ne me souvenais pas. la gamine de mes souvenirs avait un rapport avec un russe. mais je ne crois pas connaître de russes, alors bon. elle était quand même là, en face de moi, avec des cernes bleuâtres qui entouraient des yeux très bleus. très rouges et très bleus. elle s'est avancée à quatre pattes pour s'accroupir à côté de moi, comme une petite guenon. personne n'a réellement suivi ce qu'elle faisait, et l'autre, gisant derrière moi, laissa échapper un petit rot, avec toute l'innocence d'une évanoui.
la fille aux yeux bleus s'est mise à m'inspecter en détail. elle a fouillé mes poches et m'a pris le paquet de cigarettes tout ridé qui traînait quelque part dans ma veste. et puis elle s'est levée doucement, elle a tranquillement ouvert la fenêtre, a sorti une cigarette, l'a allumée et s'est penchée pour voir le soleil se lever dans la rue. alors elle s'est retournée vers nous et elle a tendu mon paquet de clopes pour nous en proposer une. j'ai pas réagi immédiatement, parce que je cherchais qui elle me rappelait. et j'arrivais pas non plus à me souvenir du titre de la chanson qui passait -j'arrivais plus ou moins à l'entendre, maintenant- et ça, ça m'énervait vraiment, même si j'étais bien torché. je me suis servi un verre de whisky. quelques trucs flottaient au fond, mais j'étais trop concentré sur sa silhouette pour ne pas m'en foutre.
vue de loin, elle avait l'air très fine. tout comme une petite fille. le nez en trompette d'une petite fille, ses doigts, ses joues, sa démarche, tout comme une petite fille. et là je me suis dit qu'elle me rappelait lolita, lumière de ma vie, feu de mes reins, puisqu'elle existe dans mon crâne embrumé, comme toute fiction existe dans l'imaginaire de chacun. et la petite fille, droguée, sur le balcon, ressemblait à la lolita qui s'était introduite dans mon esprit, je ne sais plus quand.
elle ne m'a pas regardé, elle s'est juste hissée sur la rambarde et elle a sauté, d'un petit bond, comme si le vide était une marelle dans une cour d'école.
la musique était trop forte pour que les autres entendent le bruit d'os brisés qu'a du faire l'impact, ils n'ont pas fait attention. je me suis levé en titubant et je suis parti, j'ai redescendu les escaliers rouges et verts, j'ai passé la lourde porte en bois qui sentait encore la pisse. il restait un clochard, sur le trottoir d'en face, entrain de dormir. sur le bitume, à mes pieds, il restait un peu de ses cheveux blonds. sans m'en rendre compte, j'ai cherché au milieu des bouts d'os et de chair ses yeux bleus. je ne les ais pas trouvés, et comme c'était quand même un peu dégueulasse, je suis parti.
sur le chemin du retour, quelque part sur des quais, je pensais à ma lolita mais, bizarrement, j'arrivais pas à me souvenir d'à quoi elle ressemblait, donc je me suis assis sur un banc froid et public, et je me suis concentré pour voir ses yeux bleus. mais j'ai rien vu et je me suis juste souvenu que la chanson qui passait dans cet appartement, c'était bob dylan, just like a woman. alors j'ai fredonné parce que je redescendais un peu, et ça donnait ça:

she takes just like a woman, yes, she does
she makes love just like a woman, yes, she does
and she aches just like a woman
but she breaks just like a little girl.

ça m'a fait rire, sur le moment. mais j'ai arrêté de chanter parce qu'il fallait que je trouve quelque chose à manger. sur le chemin, alors que la ville s'éveillait innocemment, j'ai pensé que Vladimir et moi avions un point en commun, maintenant. enfin, plus ou moins.

13.2.09

merde, j'ai pas réussi à oublier ton prénom.

Ses lèvres. Ses lèvres n'arrêtent pas de bouger, de se tordre, de se séparer, de se rejoindre. À chaque instant, elles se transforment en un sourire, puis en une grimace, avant de laisser échapper un soupir. Ou un éclat de rire. Assis face à cette jeune fille rousse qu'il a invité à venir prendre un café aujourd'hui, Alexandre n'arrive pas à détacher son regard de ses lèvres, si rouges sur une peau si claire. Il n'écoute pas ce qu'elle dit, complètement fasciné, se demandant combien de temps elle va tenir un débit aussi élevé.

Il est quatre heures de l'après-midi, et le soleil inonde à travers le feuillage des arbres qui la surplombent la terrasse du petit café où ils sont assis, entourés de dizaines d'autres couples. Les ombres des feuilles, décharnées, se découpent nettement sur son visage, et Alexandre observe ses lèvres s'agiter de plus en plus sans déranger les taches foncées -qui font d'autant plus ressortir la pâleur de son teint. Il ne sait pas de quoi elle parle, plus ou moins de ses cours à la fac d'économie, là où ils se sont rencontrés. À moins que ce ne soit à propos de sa nouvelle colocataire. Il n'en sait foutrement rien, mis à part que, quel que soit le sujet, une certaine Marine est impliquée. Peut-être qu'il connait cette Marine, mais n'ose pas demander de précision, de peur de briser définitivement un monologue qui semble durer depuis qu'ils se sont assis sur ces chaises en fer, particulièrement peu confortables. Mais c'est un café branché, et Alexandre s'en fout, il est là pour se la taper, alors autant l'amener dans un endroit dont elle pourra ensuite parler à ses copines. Si en plus elle leur dit qu'il portait une chemise blanche Giorgio Armani, un jean noir Dior, et des bottines en cuir Louis Vuitton, ça ne pourra lui être que bénéfique.

Autour d'eux, la situation est presque partout la même. À chaque table, un des deux -la femme, généralement, puisqu'il faut bien une base véridique à tout stéréotype- monopolise toute la discussion, si tant est qu'il y ait une discussion, et l'autre acquiesce d'un air intéressé, les yeux fixés sur les lèvres de sa partenaire. Le serveur, dont la chemise éclairée ponctuellement par les rayons du soleil qui l'atteignent encore ressort vivement sur les tables de bois sombre entre lesquelles il se déplace habilement, se dirige finalement vers eux. Alors qu'il prend leur commande, elle semble complètement l'ignorer, bien qu'elle glisse entre deux anecdotes sur sa vie personnelle qu'elle veut un café; lui ressent le besoin urgent d'un whisky glacé. Le serveur note quelque chose sur son bloc-notes et repart immédiatement, sans même leur avoir jeté un regard. Après tout, ils ne sont qu'un jeune homme et une jeune fille parmi les centaines d'autres qui défileront pendant son service, alors à quoi bon faire attention ?

En fait, Alexandre vient de remarquer que les lèvres ne bougent pas indépendamment. C'est tout son visage, fin, quasi-angélique, qui se meut de manière solidaire. Les yeux bruns pétillent quand les lèvres s'étirent en un large sourire, révélateur de blancheurs irréelles, égarées dans sa bouche, son petit nez retroussé s'agite dès qu'elle accélère le rythme de sa prose, et mêmes ses sourcils impeccablement épilés lui semblent se froncer lorsque son ton se fait plus agressif. En fait, Alexandre est fasciné par cette fille qui, dans son chemisier bleu Tara Jarmon, sa jupe Maje et ses ballerines Prada, ses mains tripotant sans cesse son sac à main, passe en moins d'une minute par au moins trois sentiments radicalement différents. Le whisky et le café sont arrivés, déposés brutalement sur la table par un autre serveur qui leur demande de régler directement. Alexandre fait un signe de tête en lui disant qu'il s'en occupe, pour qu'elle puisse continuer quoi qu'elle dise tranquillement; il sort de sa veste impeccablement coupée un billet de cinquante euros. Elle ne s'est toujours pas arrêtée.

Il pourrait se dire que c'est le summum de la superficialité que de valser ainsi entre la colère et l'étonnement, entre la joie et la peine, entre la culpabilité et le dégoût, et parmi tant d'autres, en poussant à chaque fois ces expressions à leur paroxysme, si bien qu'elles se voient complètement dénaturées. Il pourrait aussi se dire que son désir de parler autant n'est peut-être qu'une réponse à un manque de confiance flagrant, qu'elle comble et en soûlant ses interlocuteurs d'histoires chiantes à mourir, et en s'offrant des vêtements hors de prix pour se persuader elle-même qu'elle est quelqu'un -même si ce quelqu'un se résume à « la fille qui a des fringues à trois cents euros ». Il pourrait aussi se dire qu'une fille qu'on invite et qui commande un café sans remercier celui qui le lui offre, qui reste plongée dans les taches de mousse qu'a laissé sa tasse sur la coupelle blanche sans jamais vous regarder et qui ignore complètement ce qui se passe autour d'elle peut, à l'occasion, s'avérer aussi ennuyante que pathétique.

Sauf que, non seulement il ne le pense pas, mais il s'en fout totalement, parce que si elle continue à se pencher pour jouer avec les ronds de café qu'elle regarde depuis tout à l'heure, il va pouvoir avoir la confirmation qu'elle ne porte pas de soutien-gorge. Lorsqu'elle finit par se baisser pour prendre son portable, tout ce qu'il aperçoit, c'est de la dentelle bleue. Légèrement déçu, il finit d'une traite son whisky et s'excuse pour aller aux toilettes. La fille relève des yeux éberlués. Lui y voit clairement qu'elle n'avait pas du tout imaginé qu'il puisse se lever et la laisser -même si ce n'est que quelques minutes- seule face à elle-même. Alexandre est plutôt fier de l'effet qu'il vient de produire, il vient de montrer que c'est lui le maître, qu'il domine encore la situation, en bon mâle qui se respecte.

Les toilettes sont au fond du bar, au bas d'un escalier en colimaçon, avec de belles marches en bois noir laqué, une rampe qui fut dorée -usée par des milliers de mains-, et de vieilles affiches publicitaires du siècle dernier pour du Bourbon. En fait, tout le bar est décoré dans cet esprit, afin que la jeunesse de la ville se croie dans un vieux club pour aristocrates britanniques déchus. Il y a des tentures rapiécées ici et là, des sièges Victoria auxquels il manque un accoudoir, ou un pied, ou encore le dossier tout entier. Ces estropiés sont savamment disposés à des points stratégiques par le gérant, pour accentuer l'ambiance qu'il veut y faire régner.

En descendant, Alexandre croise une fille à qui il a déjà parlé une ou deux fois sur le campus -rien de très excitant, elle n'est pas jolie. Poliment, il lui sourit, et se voit obligé de lui faire la bise dès lors qu'il la voit pencher son visage luisant vers lui. Elle est contente de le voir ici, mais Alexandre abrège très vite le peu de conversation qu'il aurait pu avoir avec elle, et continue sa descente. Quelle abrutie.

La poignée de la porte est visqueuse, faite du même métal fatigué que la rampe. Il pousse la porte délicatement du bout des doigts, de peur de trop se salir. À l'intérieur, la salle est bien plus vaste qu'il ne l'eût imaginé, une rangée de lavabos -un jour immaculés- sur le mur de droite, surplombés par un long miroir, et quatre ou cinq urinoirs leur font face, séparés par des cloisons branlantes, hésitant entre le bleu et le vert, et couvertes de tags en tous genres. Alexandre pousse la première porte avec l'extrémité de sa chaussure, et se dégage alors une odeur immonde qui lui remonte brusquement dans le nez, avant de plonger jusqu'au fond de son estomac. Il se met à respirer précipitamment entre ses dents, et passe les deux suivantes. La porte de la quatrième semble décente. L'intérieur l'est aussi, si on exclut les taches marronâtres qui strient la cuvette, et le porte-papier hygiénique défoncé. Toujours du bout du pied, il referme derrière lui la porte recouverte d'inscriptions en tous genres, sûrement toutes aussi altermondialistes les unes que les autres.

Ce n'est qu'en ressortant qu'il remarque le paragraphe écrit à sa gauche, juste au-dessus de là où se situait le large boitier de métal blanc. Il ne comprend pas immédiatement; ce n'est pas écrit en français. Durant les quelques secondes où il remonte son jean et resserre sa ceinture, il arrive à décrypter partiellement le message. Lequel semble n'avoir aucun sens, mais il a une certaine allure. Sans s'en apercevoir, il le relit plusieurs fois, et ses lèvres articulent silencieusement d'elles-mêmes les mots griffonnés au stylo noir; le sens lui échappe toujours, mais il y a quelque chose de... de bizarre ? Non, de différent. Ces treize lignes, biscornues, découpées n'importe comment, tronquées n'importe où -avec une rature sur la quatrième-, sont définitivement autres. Là encore, sa main bouge toute seule, et effleure le mur sale, comme pour vérifier que ce sont bien de simples mots, écrits avec un simple stylo, et simplement mis bout-à-bout. Il ferme les yeux une longue seconde, puis se retourne et ouvre machinalement la porte, sans se soucier d'où il met ses mains.

C'est son reflet qui lui apparaît immédiatement, dans cette longue glace qui court au-dessus des robinets identiques. Étrangement, il n'a pas l'impression que ce soit lui, ce grand jeune homme, aux cheveux châtains savamment disposés, avec cette chemise qui paraît encore plus propre dans ces toilettes lugubres. Pourtant, il se regarde droit dans les yeux, il voit bien que c'est sa main qui frotte son visage, que ce sont ses sourcils qu'il fronce. Le reflet, lui, semble être à des kilomètres, presque caché par les traces qu'ont laissé sur la vitre des éclaboussures d'une eau à l'origine douteuse.

Lentement, d'un pas prudent, il se rapproche de ce qu'il sait être lui-même. Son reflet se rapproche aussi. Au moment où son bassin touche le rebord, il cligne plusieurs fois des yeux et revient à la réalité, comme émergeant d'une étrange défonce; à peine son cœur bat-il. Il passe un filet d'eau froide sur sa main, qu'il utilise pour brièvement recoiffer ses cheveux, passe une minute à observer son visage dans le miroir, se recule ensuite et jauge son allure générale. Visiblement satisfait, il se dirige prestement vers la porte: un décolleté l'attend sur la terrasse. Mais, au moment de refermer sèchement la porte, et de retrouver la lumière d'un jour sur le devant d'un bar branché, il jette un dernier coup d'œil derrière lui. La quatrième porte continue à battre dans le vide, et sur le revers de laquelle il distingue une bite grossièrement tracée au marqueur.

Avec un haussement d'épaules, il se retourne et rejoint cette jeune fille au chemisier généreusement entrouvert et qui, à peine l'a-t-elle aperçu, redémarre son monologue inopposable.

En bas, prisonnier d'une paroi de toilettes, maladroitement recopié par un quelconque étudiant en lettres, gît un extrait de poème qui attend d'être replongé dans le noir par le minuteur automatique:



We are the hollow men

We are the stuffed men

Leaning together

Headpiece filled with straw. Alas!

Our dried voices, when

We whisper together

Are quiet and meaningless

As wind in dry glass

Or rats' feet over broken glass

In our dried cellar.


Shape without form, shade without color,

Paralyzed force, gesture without motion.

12.2.09

ça arrive même aux gens biens.

rushing train
at an unchallenged speed
through a dark, decaying
and dominated world
music piercing my ears
novels astonishing my eyes
the need to feel
human, beheaded
because of the dear senses
the taste of a cigarette
the heavy, familiar nausea
the smell of shit
someone's vomit
am I alive or am I
just high
I hope it'd be both
or neither
being as stoned as I want to undress

10.2.09

je sais dire introduction en latin.

c'est l'histoire d'une petite fille qui, au début, s'enivrait de ce à quoi elle pensait, de ce qui tournoyait dans sa tête, ricochait contre son crâne et sortait parfois, la nuit, comme un forcené refusant d'être exprimé à autrui, éternel ennemi de l'idéel; à chaque instant de libre, d'ennui ou de besoin, elle réfléchissait au sens qu'avait la vie, et vagabondait délicatement alors jusqu'à ce que serait la sienne -sa vie !- si elle parvenait enfin à devenir danseuse -son seul et unique rêve, auquel elle était destinée, chaque petite fille étant forcément destinée à son rêve, ou elle trahirait sa condition de petite fille ô combien respectée, forteresse de l'innocence et du stéréotype-, et elle se figurait alors, coupée d'un monde trop fade au goût de tous, voletant délicatement devant des riches, distingués, redressés sur leurs sièges comme devant leur souvenirs, admiratifs à ses pieds, et faisant rêver les pauvres, les étudiants, les inconnus parqués au paradis, dans une splendide métaphore de ce qui est après la mort, pour que sa pensée s'achève en basculant fatalement, en même temps qu'elle s'abandonnait au désespoir -ces moments de doute que connaissent si bien les artistes sans talent-, vers cette héroïque image que se font les jeunes d'une mort qu'ils s'infligeront un jour, rejoignant cohortes d'espoirs avortés et déchus, une étreinte simple, éblouissante, facilement tentatrice.

finalement, elle a eu ses premières règles, son bac, un diplôme de droit, un job dans une entreprise inconnue, et même pas illustre, un mariage médiocre et des gamins bruyants. ses parents sont morts séparés, ses amis se sont dispersés et elle ne s'est pas suicidée.

la morale de l'histoire -oui, il y a une morale, sinon ce ne serait pas une histoire, et j'eus affublé à ces lignes un substantif bien plus pompeux, rangé quelque part entre nouvelle et essai- est donc la suivante:
c'est con, une petite fille.