19.6.10

tarkovski, c'est avant tout des courants d'air.

Int. G1, Matin

(Pendant tous les crédits, bruit du radio-réveil qui va crescendo, de longs bips lancinants.)

Un radio réveil affiche sept heures quatre.

Une main tâtonne légèrement sur le dessus, puis appuie du bout du majeur sur un gros bouton au milieu.


(Un concerto de Bach, BWV 1046, ou bien This is Hell de Costello, je ne sais pas encore, commence en même temps que l'alarme s'arrête.)


Un lit aux draps blancs, un garçon, G1, encore endormi, malgré sa main qui repose sur le réveil.

Int. F1, Matin

Une fille, F1, avec un t-shirt snoopy et une queue de cheval

Elle se redresse sur son lit, à quatre pattes, puis à genoux, et retombe sur ses talons.

INT. G2, Matin

Un autre garçon, G2, beau brun aux cheveux longs, toujours dans son lit.

Il se retourne en se tortillant sous sa couette pour allumer sa cafetière. La main hésitante branche la prise (et éteint le réveil), appuie sur le bouton, puis retombe débilement.

INT. F2, Matin

La dernière fille, F2, en sous-vêtements, blonde et bien foutue

Elle se redresse, s'assied sur son lit; elle frotte ses yeux, regarde en face d'elle, l'air absent, puis baisse les yeux, légèrement à gauche. Elle se penche et attrape quelque chose avec sa main. Un paracétamol et une bouteille d'eau à moitié vide. Elle prend le cachet, puis baisse la tête, comme si elle subissait tout l'épuisement du monde.

11.6.10

je range toujours les livres à l'envers.

je pensais qu'en étant célèbre, j'aurais pu aller voir cette fille, qui boit son chocolat chaud avec son écharpe léopard et ses grands yeux perdus. je pensais que j'aurais pu lui faire imaginer que c'est la première fois que je fais ça, mais qu'elle est absolument ravissante et que j'aimerai bien lui donner rendez-vous demain place du parlement. elle aurait écarquillé les yeux, et sa copine se serait fait un torticolis pour capturer un tout petit bout de mon regard. j'aurais continué à sourire en faisant comme si je n'étais pas moi, en faisant comme si j'étais resté ce jeune qui prépare un casse, seul avec un mauvais bloc notes sur un bureau ikea.
mais non. j'ai pris le bus avec elle, j'ai pris le bus en face d'elle et je faisais mine de dévisager les enseignes groupama plutôt que la bouffer du regard. et dieu sait que les grains de beauté sont vulgaires, normalement. je suis descendu derrière sa jupe et j'ai marché derrière ses jambes. j'ai laissé sa main pousser le portail parce que je demandais à quelques petits garçons encapuchonnés devant où était la salle polyvalente. je leur ai aussi demandé une clope, en me déboîtant l'oeil pour apercevoir sa queue de cheval flotter dans un couloir au carrelage dégueulasse. les trois petits garçons n'en avaient pas, de clopes, ils n'avaient que leur sourire narquois. alors je leur ai expliqué que j'arrivais pas à donner des conférences correctes si j'avais pas une putain de blonde entre les lèvres avant, et qu'ils avaient le droit de sécher l'intervention du type qui venait pour parler de son dernier bouquin parce que je demanderai au bulldog à ce qu'il ne fasse pas l'appel. eux ont vraiment eu l'air interloqué. ils m'ont dit que c'était la classe d'être moi-même et que c'était cool de les laisser partir, même si ils aimaient vraiment ce que j'ai fait. celui avec une gueule de con s'était même retourné pour me dire que j'avais de la chance de pouvoir faire tout et n'importe quoi parce que j'étais célèbre. j'emmerde les gueules de con.
j'ai fumé ma clope en me demandant si elle sera là, et si le regard en coin qu'on me jetait depuis la cabine téléphonique, c'était parce qu'on m'avait reconnu. j'ai quand même pris un petit air de syd matters, pour bien lui montrer.
quand je suis arrivé dans cette salle, les pieds de chaise ont cessé de bouger, et les murmures ont pris fin, parce que le dieu de tous les petits terminales L avançait de son pas léger et de sa gueule d'intello cool avec une cravate. j'entendais encore les chuchotements des filles impressionnées et des garçons qui essayaient encore un peu de les draguer. il y avait une écharpe léopard qui traînait dans l'allée, alors j'ai sorti le grand jeu, avec les feux d'artifices et les aphorismes de mecs morts dans leur perruque ou dans leur moustache, je leur ai poussé à reconsidérer tout, jusqu'à leur vespa. je leur ai parlé d'amour, et je leur ai parlé d'avenir. je leur ai construit une vie dans mes projets et un rôle dans ma vie. je leur ai dit qu'ils pouvaient me suivre et me voler autour autant qu'ils voudraient, je leur ai dit que tout était de la merde, que le gouvernement était de la merde et que leurs auteurs d'ersatz contre-culturel étaient de la merde. je leur ai dit que, tout ce qui comptait, c'était ce qu'ils pensaient, ce qu'ils pensaient dans leur gorge et dans leur rate, ce qu'ils pensaient du bout des doigts et ce qu'elle pensait au creux de ses fossettes et je leur ai dit de ne pas essayer. j'ai achevé en disant que le type qui avait écrit ça ne mettait plus que son prénom sur ses cartes de visite.
dans les séries policières, ils vous expliquent qu'on peut analyser les applaudissements pour retrouver la fréquence particulière d'une fille avec une écharpe léopard. je suis célèbre, alors je sais tout faire. je l'ai vue descendre vers moi, en hésitant un peu à chaque marche, sans jamais faire de grand saut. elle est arrivée un peu trop tard, quelqu'un avait mis un nombre terrible de lycéens sautillant devant moi avec des photos et des marqueurs.

"pour lucie, s'il vous plaît"

"franchement, c'est dingue ce que vous faites, j'ai l'impression qu'on pense la même chose au même moment"

"attends, vas-y, je prends une photo, t'es trop belle quand t'es à côté de lui !"

"tu penses vraiment que je peux lui demander ça ?"

"vous en avez fait quoi, de toutes vos récompenses ? parce que je viens de gagner le prix du lycée et je ne sais pas où le mettre."

"dites, est-ce que vous prenez des stagiaires ?"

"pourquoi est-ce que vous avez fait ça après ça ? je l'aurais plutôt vu comme ça. vous en pensez quoi ?"

il n'a pas envie de savoir ce que j'en pense. elle, elle a envie de savoir ce que j'en pense, et de savoir que je ne suis pas si vieux, et pas si fort et assuré. moi, j'ai envie de savoir si le bruit du grille-pain la réveille, le matin, et si elle s'assied pour se maquiller. j'ai envie qu'on me laisse seul, et qu'on cesse d'avoir ces mains tremblantes de peur parce que je suis mieux. je n'ai pas de talent, j'ai plus d'imagination, et j'arrive à faire chier les gens correctement. pose-moi ta question, je suis humain, j'ai des gueules de bois et des chiasses à n'en plus finir. je suis seul le samedi soir en prétextant que je préfère le cinéma. je ne vais pas en backstage parce que les autres n'ont pas le droit d'y aller non plus. j'enlève ma cravate et je raconte une blague bidon, si tu veux. j'ai même signé un avant-bras gigotant et fait des caresses à des mèches parfaitement étudiées. je suis sorti par la même sortie qu'eux, parce que je suis quelqu'un qui s'intéresse beaucoup à ce que fait la jeune génération, et parce que je priais un peu pour qu'elle fume une cigarette en évitant de me regarder sortir. elle ne m'a même pas évité, parce que je l'avais prise par surprise, caché derrière un grand bouclé qui était venu exprès pour moi.
lorsqu'elle s'en alla, j'ai dit qu'il fallait que j'y aille, et ai fait claquer bottines contre le macadam en les défiant de me suivre. il y en a deux qui ont relevé le défi, sans compter le professeur qui m'avait invité et qui s'imaginait qu'on était les meilleurs potes du monde. et puis, en arrivant au café où elle s'était engouffrée, j'ai dit que j'avais envie d'une bière et je suis passé devant benoît sans le voir, j'ai demandé un whisky sec en m'accoudant au comptoir, sans avoir aucunement l'air de repérer sa table, un peu plus loin au fond, ses davidoff light et son glamour encore tout reluisant. je suis reparti voir benoît, l'ai serré dans mes bras, comme font les gens intenses, et lui ai dit que c'était bien de se voir, puisque j'étais de passage, et qu'il avait bien fait de ne pas venir me voir parler. que c'était une blague, et qu'elle n'en valait pas la peine pour ceux qui n'ont plus d'argent de poche. elle me regardait un peu, et j'essayais de ne pas le voir. ça faisait longtemps que, je n'avais pas surpris le regard d'une fille comme ça, par petites touches, en faisant comme si non, en déviant sur son arrière-plan et en relevant la tête pour allumer une clope.



j'suis défoncé, j'avais pas prévu d'écrire cette partie là et ça fait un peu chier mon corps qui tremble comme un amiral à qui on aurait enlevé ses galons donc je termine là. vous vous doutez bien que le type ne va pas voir la fille, qu'il n'a pas grand chose à dire parce que c'est son ami, qu'il commande un autre verre de whisky parce qu'il pensait que ça aurait pu lui donner de la force.
et il est rentré seul, en se disant que c'était dommage, et qu'il aurait bien aimé lui raconter des histoires pour qu'elle s'endorme.