31.3.10

dès que j'ai torché cet article, je fume une clope.

Allez savoir pourquoi est-ce qu'il gardait son bonnet à l'intérieur du bar. Si il voulait impressionner les filles qu'il aurait sûrement d'ici à ce que le soleil se lève, on était du mauvais côté de la rue. En face, la jet-set provinciale se délecte de verres de vin en jouant au billard, au rythme des motos-crottes qui défilent devant leurs ersatz de ray-ban multicolores. J'avais insisté pour qu'on délaisse l'Apollo (quel genre de con inconscient peut appeler son bar l'Apollo ?) et qu'on triple le chiffre d'affaires du PMU d'en face en y prenant deux pintes. Et maintenant, les trois vieillards avachis au comptoir fixent son bonnet de leurs yeux luisants, ravis d'avoir un peu de distraction. Je prends une inspiration, puis une gorgée de mauvaise bière:

- Tu sais, j'ai une théorie.
- Sur quoi ?
- Sur pourquoi est-ce qu'il y a tant de monde autour de moi que je trouve terriblement insipide. Et j'emmerde ton sourire en coin.
- Vas-y.
- Ben, pour te situer le truc, je prenais un café place de l'Utopia, avant la grande salope qui est partie m'oublier à l'école du Louvre, et on subissait la conversation de deux meufs derrière nous. Sincèrement, elles avaient pas l'air particulièrement connes. Elles s'exprimaient correctement, quoi. Quand celle qui n'est plus que la meuf au gros seins m'ayant payé un café partit pisser, j'ai écouté leur conversation, parce que je refusais de déchirer un emballage de sucre en poudre comme font tous les stressés pubères.
- Ça se comprend.
- Ouais, non, tu peux pas comprendre parce qu'elles n'étaient même pas jolies. Bref. Donc l'une des deux raconte un truc, son week-end, je crois, où elle devait passer une sorte de concours de chant lyrique...
- Bourgeoise.
- C'est ça. Donc, elle a plus ou moins passé deux jours à faire ce qu'elle aime avec toutes ses camarades de conservatoire, ou je ne sais pas comment tu appelles ça, et elle a adoré ça, vu le ton de sa voix. Et puis, ça s'est dégradé, salement, son timbre a commencé à vaciller dès lors qu'elle expliquait qu'elle s'était faite voler la première place par une pute qui ne le méritait pas et qui lui avait aussi volé son copain, ou essayé de voler son copain, mais on s'en branle un peu, de ça.
- Ouais, carrément, ce bar schlingue, dépêche, et viens-en au fait.
- Crève. Donc, la meuf sort un truc qui m'a un peu perturbé. Elle a dit, si je m'en souviens bien, "je n'avais jamais pleuré de révolte, avant". Et là, je me suis retourné discrètement, genre je galère à allumer ma clope dans le vent et ça se voyait, mec. Sur son visage, on voyait qu'elle avait pleuré de révolte. Je veux dire, elle était maquillée, elle sirotait son cappuccino comme une grande fille, tout était pour le mieux autour d'elle, mais moi je le savais. Je vais pas te taper une description à deux balles, mais il y avait quelque chose quelque part dans sa gueule qui hurlait à la face du monde que, non, elle n'était plus dupe, qu'elle avait mis son doigt dans l'oeil de dieu, que c'était un connard aléatoire, et qu'elle n'attendait plus rien du reste.
- Genre t'as vu tout ça sur son visage.

Je me tais, finis mon verre.

- Mon point, c'est que, au-delà de la révolte, les seules personnes que j'estime vraiment sont celles qui savent pleurer. Le rire, tu fous un marocain sur scène et il se fait bidonner toute la France. La poésie, tu travailles ta com' à la Fnac et à Virgin pour les vendre comme des petits pains en alexandrins. La musique, tu regardes la Nouvelle Star pour compenser ton manque béant de talent sans faire quoi que ce soit pour y remédier. Je te passe tous les autres trucs que des moustachus du dix-septième siècle ont pu trouver pour définir l'humanité. Le fait est que nous sommes trop peu nombreux à prendre notre pied au milieu de nos larmes, à savoir que notre désespoir nous inonde de bonheur, où ne serait-ce qu'à déverser nos réserves lacrymales sur des détails auxquels personne ne fait attention. Ce n'est pas forcément un signe de faiblesse, c'est juste la preuve obscène qu'on assume le fait d'être nuls. D'ailleurs, la fille, elle, elle est repartie avec le sourire.

Il ne dit rien, soulève ses sourcils, mais ne pipe mot. Moi, je n'ai plus rien à boire, donc j'enchaîne.

- Et je crois que je ne t'ai jamais vu pleurer.

- C'est normal, je suis pas une tapette.

23.3.10

vu à la télé.

there has been some complaints, comme quoi il n'y avait pas de rigueur dans ce blog, qu'il n'y avait aucune continuité, qu'on aimerait bien voir à quoi ressemblerait une suite d'extraits qui se suivent et se mélangent.

alors, bon, je n'ai aucune idée de l'image que je donne là-dessus, probablement celle d'un dégénéré, drogué et déliquescent, mais le fait est que j'ai toujours eu envie d'écrire des histoires pour enfants. enfin, d'écrire des histoires ayant pour prétexte des enfants mais qui s'adresseraient tout autant aux grands.

donc, c'est fait, c'est tout frais, et ça s'appelle Son Imagination Danse Toujours, et ça racontera les aventures d'Albéric, petit d'abord, puis grand ensuite.

22.3.10

le post le plus triste de ce dimanche disparu

Salut si je viens sûr se forum aujourdui c'est que je sais depuis pas mal de temps maintenant que j'ai des problèmes. J'ai 18 ans et un enfant de 8 mois. Mon copain est tunisien on est ensemble depuis 2ans et on ne s'entend plus.. Etant petite j'ai beaucoup souffert avec un père qui me maltraite qui m'insulte a longueur de temps.... Puis a mes 14 ans après la séparation de mes parents j'ai commencer a sortir a fréquenter de gens pas bien faire des bêtises et avec ma faiblesse des hommes mont fait de fausses promesses et j'y est cru et vite était déçu. Mes parents ne soccupait plus de moi il s'en foutait. Puis a 16 ans j'ai rencontrer mon copain il en avait 25.il était sans papiers. 6 mois après mon père las virer de chez lui et suis aller vivre chez une tante avec mon copain.puis 3mois plus tard j'ai étai enceinte et mon copain a eût ses papiers. Puis j'ai accoucher, mon copain est rester. De la notre relation s'est dégrader et on s'est frapper dessus insulter fait beaucoup de mal. Je sais que c'est de ma faute parceque je sens que j'ai quelque choses qui va pas. Je m'énerve vite je suis triste a longueur de temps je pleure j'insulte je suis devenu jalouse de tout.de toutes les filles qui passent de tout les couples ...je me sens moche horrible.... De plus ma mère las lâcher preferant ses hommes a moi et je n'est pratiquement aucun contact avec elle. Depuis quelques temps mon copain est parti travailler loin d'ici et j'ne le vois q'une fois par mois et on trouve encore a se disputer. Je ne suis pas bien je sens que j'ai un problème dans ma tête, sinon ma vie ne serai pas aussi nul..mon fils l'aide a tenir mais je me sens seul et personne n'est la pour moi.. Je suis a bout je ne sais plus quoi faire, mon ami me soutiens plus me délaisse et j'aimerai de l'aide svp

18.3.10

au moins, j'aurai vu ingrid libre.

Je n'aime pas répondre au téléphone. Non pas que je calque toute mon existence sur ce que fait Tyler Durden, je n'aime juste pas devoir interrompre ce que je fais pour devoir parler à quelqu'un qui s'octroie le droit de me déranger. Surtout tard, chez moi, en train de me battre avec ce filet de saumon pour qu'il se laisse manger. Seulement, je suis jeune, et je sous-estime ce qu'on peut apprendre en décrochant par inadvertance. Parce que le monde n'a pas forcément les couilles de venir frapper à ta porte pour te le dire en face, et pour t'expliquer que tu ne sers plus à rien, mais qu'on est désolé et qu'on pensait qu'il fallait que tu saches parce que tu m'as l'air d'un gars solide.

Je résume et je déforme, mais c'est à peu près ce que la voix grésillante à l'autre bout de la ligne m'a dit. Enfin, ce que j'ai compris, c'est que d'ici quelques mois (il a dit un an, mais quand on se présente en disant « Bonjour, Dr. X, à l'appareil, spécialiste en maladies infectieuses », on a tendance à être un peu trop optimiste) je serai probablement mort, le diagnostic est encore réservé, mais qu'il n'y a pas à s'inquiéter, qu'il existe des traitements expérimentaux, que je suis éligible pour un de ces programmes, que tout est encore possible, et qu'il ne faut surtout pas baisser les bras. Je ne fais plus tellement attention à ce qu'il raconte. Si je baisse les bras, je fais tomber ma poêle et je n'ai plus rien à manger ce soir, et j'en ai marre de devoir affronter le regard de la jeune-étudiante-modèle-mais-pauvre du MacDo qui voit bien que je suis incapable de prendre en main mon régime alimentaire. Pourtant, pendant un moment, j'ai bien envie d'y aller quand même, de me moquer d'elle parce que je fais de meilleures études, que mes parents sont plus riches, que mes amis sont plus intéressants et que mes amies sont plus belles, de lui commander n'importe quoi, avec cinq bières en plus, parce que l'argent ne me servira pas à graisser la patte des vers qui boufferont mon cadavre. L'idée d'un bakchich sous-terrain me fait un peu rire, en faire une armée et attaquer les magasins Marithé & François Girbaud pour diffamation publicitaire.

Je croyais que j'avais raccroché, mais l'éminent spécialiste continue sa logorrhée sur les tenants et les aboutissants de ma transformation prochaine en un tas de cendre, parce qu'il y aura forcément un con dans mon entourage pour vouloir me foutre dans une urne et me balancer du haut d'une falaise de Provence en écoutant Perfect Day. J'encule la Provence. Je l'entends me dire qu'il serait bien qu'on se voit demain, dans son bureau payé par des morts pour qu'on discute des éventuelles solutions que des fainéants vivantes tentent de trouver. Ce serait avec plaisir, mon bon docteur et, au risque de vous sembler brutal, voire quelque peu instable, allez-vous faire foutre. Je n'aurais peut-être pas du ajouter ça, mais j'ai raccroché avant même qu'il ne lance son programme psychologie compréhensive et que Freud déverse toutes ses théories sur mon petit être vacillant. Quel genre de docteur prévient des inconnus qu'ils sont foutus à neuf heures du soir ? Certes, le type est incompétent, mais les horaires se tiennent. Le numéro est celui du centre d'analyse où j'avais accompagné un ami se faire tester pour d'éventuelles MST, et la jolie infirmière a tenu à ce que j'en fasse un aussi, c'est gratuit, mais j'avais essayé de la convaincre que c'était une perte de temps parce que je détestais coucher avec qui que ce soit, et que ma vie n'était que platonisme. Elle pouffait de rire quand elle a sorti l'aiguille. Le type avec qui j'étais venu n'a pas eu de mauvaises nouvelles, principalement parce que ce test n'avait pour but que de flatter son ego en se disant qu'il avait couché avec suffisamment de filles pour avoir de l'herpès. Moi, on m'a rappelé pour que je vienne en faire d'autres, et l'infirmière jolie n'était plus là, c'était un grand black engoncé dans sa tunique verdâtre qui s'est occupé de moi, et j'avais les boules parce qu'il me rassurait en me disant que je n'avais aucune MST ni IST. Je m'en branle, mon grand, je suis en train de rater la dernière séance de La Baie Sanglante, et je devais y amener la mi-jolie mi-populaire qui me courait après dans les couloirs de la fac pour me demander si je pouvais envoyer mon exposé sur la boîte mail commune, avec ses yeux fixés sur mes lèvres, et j'ai dit oui et si tu veux tu peux m'accompagner voir la rétrospective Mario Bava ce soir oh oui j'en serai ravie super ce soir à six heures devant le cinéma de la place de la leucémie mais si on doit s'asseoir à côté s'il te plait mets un autre parfum hein quoi non rien à ce soir. Il a enlevé l'aiguille et j'ai eu le droit de partir sans demander mon reste. Même pas pris un de ces caramels sur le comptoir de l'accueil. Je ne dois pas m'inquiéter, ils vont me rappeler.

Le saumon est cuit mais j'ai la flemme de laver une casserole pour rajouter du riz alors je l'engouffre comme un gros porc personne ne me regarde, j'essuie mes babines et j'enfile mon blouson pour aller au MacDo, erreur de débutant, il n'y a rien de plus glauque qu'un Maxi Best Of tout seul, même si c'est un 280 et que le mec qui l'a préparé m'a mis un extra de cheddar. Raekwon m'empêche de marcher dans le silence glacial de ma ville hibernant, j'essaie de ne pas croiser le regard du clochard du tunnel qui veut me demander une clope, et je traverse sans m'arrêter le passage clouté où tout le monde attend le passage au rouge du feu tricolore. Je les ai sûrement impressionnés, mais j'avais jeté un petit coup d'œil avant pour m'assurer que les voitures étaient suffisamment espacées et que je ne finisse pas écrasé. Il fait tellement bon une fois arrivé que je ne rechigne pas à dépenser une douzaine d'euros pour des menus que je ne finirai pas, et je gratifie même le videur lobotomisé d'un sourire qui se veut tout sauf condescendant, mais qu'il aura sûrement pris comme tel. Les marches sont glissantes, l'odeur est lourde mais terriblement alléchante, l'éclairage donne l'impression que tout à l'étage est d'un beige délavé. S'y reflètent vaguement quelques mèches trop brunes et les poils d'un balai désespéré.

Je me laisse tomber contre une banquette en cuir, dans le coin, où j'ai une vision d'ensemble des catastrophes de la vie en province. Je range tranquillement mon blouson, mon iPod et, de retour parmi les bruitages de la vie réelle, je fourre un morceau de burger, je ne sais pas lequel, dans ma bouche affamée. Trois petites lycéennes qui regrettent leur salade me jettent un coup d'œil, un écran d'ordinateur a pris le contrôle du mec en face de moi, et quelques reubeus discutent bien trop fort du bled. Pendant que je mâche, une pensée me traverse l'esprit: est-ce que la junk/delicious food est compatible avec mon organisme chancelant ? Je ne sais pas. Je demanderai au docteur X demain, quand il m'expliquera exactement pourquoi je n'ai plus le droit de voir mes 20 ans seul sur la baie de Ha Long. C'est con, j'aurai bien aimé la voir en vrai, tout seul, avec quelques pêcheurs et leurs cormorans. J'aurais pu me prendre pour James Bond. Ou pour Humphrey Bogart, mais ça dépend si il aimait l'alcool de riz (dans mon souvenir, c'est plutôt dégueulasse). Est-ce que j'aurai le temps de pouvoir partir dans un autre pays ? Maman ne pourra pas me refuser de me financer le voyage, une fois qu'elle aura un peu encaissé la nouvelle. Quoiqu'elle voudra peut-être me garder pour elle, près d'elle. La plus vieille des trois lycéennes ressemble de plus en plus à C., au fur et à mesure que je descends mes bières pour accompagner un steak aux origines douteuses. Il faudra que j'envoie cette lettre d'amour, d'ailleurs, maintenant que les conséquences sont évanouies; foutu pour foutu, autant emporter sa stabilité émotionnelle avec mon avenir, histoire que je marque ma disparition dans ces tripes. C'est drôle, je n'avais jamais pensé aux tripes d'une fille, avant. Elle sera peut-être à l'enterrement. Ça dépend si mon père veut que je sois enterré avec sa famille ou si c'est l'avis de ma mère qui prédominera. Ou bien j'irai m'enterrer dans ce cimetière qui a battu tous les records de profanation en 2009, histoire d'avoir une chance de prendre une dernière goulée d'air pur avant que la BAC scandalisée ne me remette dans mon caveau.

Deuxième burger, quatrième bière. Donc, dans le pire des cas, il me reste trois petits mois. Je vais pouvoir demander un super cadeau pour mon anniversaire. Glastonbury gratos, peut-être. J'emmènerai mon frère pour voir une dernière fois si c'est vraiment un gros con. Est-ce que quelqu'un connait mon mot de passe pour supprimer mes différentes cyber-vies ? Probablement pas, je gagnerai peut-être des followers en twittant l'au-delà, et dladsa pourra devenir unique en son genre si je mets en brouillon suffisamment d'articles pour faire comme si j'étais encore en vie. PS: I love you sans l'irlandais vagissant. Merde, je ne pourrai pas non plus voir tous ces films que j'avais marqué sur un papier que j'ai perdu. Tarkovski, pour faire plaisir à Papa. Diffuser le Rocky Horror au milieu du prochain débat entre GSU et UMPGE. À la rigueur, c'est encore jouable, ça. Je n'ai pas trouvé de salle de cinéma qui fasse des séances à minuit et où j'aurais pu apprendre à devenir projectionniste. Est-ce qu'on met moins de trois mois pour apprendre ce métier ? Si je leur dis que je suis mourant et que je ne veux pas être payé, c'est possible, non ? Je n'aurai pas le temps de finir Kerouac dans le texte. Ni Spinoza. Encore moins comprendre Nietzsche. Quoiqu'il existe des podcasts du collège de France sur tout ce qui est obscur et incompréhensible, donc parmi lesquels il y aura sûrement un résumé de son œuvre, ce qui suffira amplement du moment que je puisse impressionner le conducteur de bus avec Le Gai Savoir qui sort de ma poche.
J'ouvre la dernière boite de 280, mais je n'ai plus de bières. Impossible que je fasse l'inventaire de mes dernières divagations de mortel sans l'air triomphant du type qui se bourre la gueule seul au MacDo. Une main agrippée sur le carton rouge des grandes frites, l'autre piochant sans remords, je me lève et plonge en passant un regard avide dans un décolleté honorable. Faisons fi des convenances, qu'est-ce que je risque ? Qu'elle me dise d'aller crever ? I'm on my way. La peine que décèle au fond des yeux de mon serveur me sert de référentiel sur mon état. Je ne dois plus marcher très droit, mais j'ai de quoi payer (j'imaginais qu'à ma mort j'alignerais des billets de 5000 yuans sans rechigner, mais je suis resté aux centimes d'euros) alors il me laisse remonter en paix. Les dix heures que je n'ai pas entendu sonner au clocher du coin ont déjà vidé une grande partie de la salle, et ils ne restent plus que cet ordinateur insatiable et ces trois filles qui m'accompagnent de leurs yeux dans les dernières marches. Je crois que j'ai un truc sur la gueule. Ou ma coupe à la Errol Flynn parce que je me suis endormi devant Matrix. Glou-glou miam-miam, et je remplis mon ventre à défaut de décorer le monde de mes pensées. Je ne pourrai pas remercier le jury des Oscars, non plus. Cannes m'aurait filé un titre posthume si j'avais tourné ce putain de film, mais je doute que mon profil social soit suffisamment émouvant pour émoustiller la croisette. Je masturbe un peu mon inventivité en m'imaginant en train de rédiger un scénario exceptionnel quand une voix fluette s'immisce entre mes frites froides et moi.

La jolie lycéenne s'est levée et se tient devant moi, un peu gênée, se rassurant tant bien que mal en jetant des coups d'œil inquiets à ses amies restées en retrait.
-Heu, salut, est-ce que je peux te demander un truc un peu bizarre ?
Demander mon numéro de téléphone n'est pas si bizarre que ça, tu sais ? Mais comme elle est vraiment adorable, je joue le grand garçon gentil.
-Avec plaisir, vas-y.
Elle prend son souffle avant de se lancer, et sa petite poitrine se lève délicatement sous son chemisier.
-Voilà, euh, ce sont les dix-huit ans de ma copine, là, et, euh, ben, c'est un peu gamin, mais, euh, on s'est dit qu'on allait lui offrir un mec, et, ben, tu vois, t'es parfaitement son genre, alors , ben, euh, …
Je n'arrive pas à savoir si elle est sérieuse ou pas. Je croyais qu'il n'y avait que dans les films que la meilleure amie vienne demander au beau mec inaccessible de sortir avec sa copine moche. Je tourne légèrement la tête vers sa table.
-Donc, je suppose que tu veux que j'aille prendre un verre avec elle un de ces jours, non ? Il te faut mon numéro de téléphone ? L'ennui, c'est que j'aime pas trop répondre au téléphone quand on m'appelle. C'est laquelle, là, celle de droite ?
Décidément, son embarras ne faiblit pas, elle se met à se dandiner de droite à gauche en acquiesçant de la tête.
-Dis-lui de venir, dans ce cas ! Il doit me rester un peu de bière.
Je doute qu'elle ait entendu la dernière phrase, parce qu'elle fait un grand sourire à la moche, qui se précipite à ma table en faisant vibrer ses grosses cuisses. Moi, tout sourire:
-Assieds-toi, je t'en prie. Tu t'appelles comment ?
-Loretta, lâche-t-elle après un petit silence.
Je redouble la largeur de mon sourire, plonge mes yeux dans les siens, méthode couet, je suis Gregory Peck, je suis Gregory Peck, je suis Gregory Peck.
-C'est ravissant, comme nom, Loretta, tu m'offrirais une bière, s'il te plait ?
Là, ça passe ou ça casse. Son visage devient légèrement moins lumineux, elle baisse les yeux sur mon plateau pour contempler les six verres vides, et se demande si c'est une bonne idée. Je rajoute un peu de pression.
-Parce que, tu sais, si t'as pas d'argent, ça pourra pas marcher entre nous, je suis désolé, je suis un type vachement matérialiste.

L'air paniqué, elle fait mine de se retourner vers ses amies qui n'ont probablement pas laissé tomber un mot de ce qui s'est (brièvement) dit entre la jeune Loretta et moi. Il ne me reste que quelques secondes pour mettre mon plan à exécution: j'enfile mon blouson d'un geste peu assuré, j'attrape le dernier gobelet encore rempli, je passe devant ses amies avec un air royal, ralentit un peu, et leur demande si elles, elles ne m'offriraient pas une autre bière. Pas de réponse, mauvaise réponse, je m'en vais en déposant mon verre sur une table encore un peu luisante de graisse. Sur les dernières marches, je crois avoir entendu un semblant de gloussement.

Le videur n'a pas bougé, absorbé dans sa contemplation muette des comptoirs déserts. Bonne chance, mec, moi je vais fumer une clope si il n'y a pas de clochard demain pour m'en taxer une. La bouffée de nicotine qui m'aide à digérer, mais qu'est-ce qu'elle avait, cette fille, à puer l'insécurité ? C'est pas avec des personnes comme ça que je vais avoir envie de survivre. Les motifs que dessinent les pavés, ces sortes de quarts de cercle imbriqués les uns dans les autres, j'ai toujours cru que si on marchait sur les bons dans un certain ordre, on pouvait prendre un passage secret qui nous amène où on veut. Là, tout de suite, ça m'arrangerait vachement, parce que j'ai promis que je passerai faire un tour chez L. et que c'est bien trop loin pour que je m'enfile un Kid Dakota sans me mettre à pleurer devant une vitrine H&M. Tant pis; j'aime le danger. Je loge mes écouteurs Bang&Olufsen dans mes oreilles (ah, je ne pourrai jamais avoir de chaîne hi-fi Beo à reconnaissance vocale et aux enceintes bluetooth, non plus...), y envoie le groupe le plus incroyable de Minneapolis jusqu'à ce que mes tympans gémissent, et je me mets à courir en direction de ces immeubles résidentiels pour étudiants bourgeois. Comme je n'entends pas le bruit de mes pas, j'ai l'impression de faire le générique d'un film, genre je débarque sur une plage et Jean-Pierre Léaud devient bouclé, alors je redouble d'effort et je ricoche sur le bitume sans qu'il n'y ait plus aucune différence entre le trottoir et la route, entre le Subway et les kebabs, entre les bars et les salons de coiffure, encore tous illuminés. À l'intérieur, une voix me chuchote la tristesse d'un quotidien nord-américain, parce qu'il n'y a rien de pire que lire le journal intime de quelqu'un. Quand la guitare cesse de gémir, le claquement de mes semelles reprend le dessus et, ramené là où il n'y a pas de caméras à ignorer, je trottine encore un peu, puis me mets à marcher, essoufflé. Je ne devrais peut-être pas faire autant d'efforts si je veux revoir l'été. C'est con, parce que celui de l'année dernière était drôle. Et j'avais promis que je repartirais en Hongrie avec A. et M., début août. Ça va être un peu limite. Ça m'apprendra, et je ne ferai pas autant de promesses stupides la prochaine fois. D'ailleurs, pourquoi est-ce que je devrais les tenir ? Parce qu'on risque de dire que je ne suis pas fiable et que personne ne tiendra les promesses qu'on me fera. Le donnant-donnant se tient, mais comme c'est sur le long-terme, tant mieux, je peux faire ce que je veux. Seulement, j'ai tellement envie d'un autre verre qu'il faut bien que je téléphone pour avoir le code de cet immeuble. Haha, j'ai deux appels en absence du Labo d'analyses, je crois que j'ai froissé ce bon docteur. La voix peu assurée de L.me dit en rigolant que le code c'est 2046WKW, donc je lui demande si c'est une blague, tout en le tapant sur l'interphone, mais il ne semble pas comprendre, et la porte s'ouvre, alors je raccroche en me disant que ces matheux sont des cons.

L'ascenseur m'accueille à portes ouvertes, pendant qu'il monte docilement, me laisse seul face à mon reflet qui ne regarde innocemment du fond du miroir. C'est bizarre, j'ai pas l'air malade. D'ailleurs, j'ai rarement remarqué ce qui n'allait pas sur mon visage. Je ne sais pas dire si quelqu'un a l'air malade ou pas, si il a une tête dégueulasse au réveil, si il est bourré ou défoncé, les yeux rouges, tout ça. Peu de chances que je remarque ça chez moi. Et même si je n'ai pas l'air malade, pourquoi est-ce que je n'ai pas l'air triste, abattu ? Les mecs de Dr. House fondent en larmes et l'afro-américain qui leur sert de conjoint se précipite sur leur main moite avec un air de vache morte. Bof, pas là. Déjà, je n'ai pas de pote renoi. Et puis, le monde peut très bien tourner sans, moi objectivement. La presse en tout genre flatte notre ego en nous disant qu'on peut tout comprendre, l'école nous dit qu'on est tous des petits garçons très intelligents mais un peu timides et nos parents sont émerveillés dès lors qu'on évite de chier dans notre froc. On est six milliards, et je doute qu'il existe une personne sans laquelle on ne puisse survivre; ce que raconte Love Actually ne compte pas. Je pense que je me ferai quand même tatouer « that's the hell of it », juste pour concrétiser la chose. Tant pis. Comme font les petits enfants, le bruit de pet en gonflant les joues et sortant la lèvre inférieure. Ding, je sors, boum-boum-boum-blah-blah, je me dirige vers la porte qui fait le plus de bruit dans une pénombre péniblement feutrée, la moquette est dans un état pitoyable. La porte est entrouverte, et j'élargis un peu le rai de lumière enfumée pour m'y glisser Beaucoup de voix, beaucoup d'aigus, peu de graves, ça sent la soirée entre chattes qui s'est faite incruster. Ça m'intrigue un peu parce que L. m'avait quand même invité. Et je suis pas assez mainstream pour pouvoir assister à une private pajama party. Alors je me raccroche un sourire dans l'entrée, et passe dans le salon où il n'est pas du plus bel effet parce que tout le monde n'a pas vu que j'étais arrivé. Le grand blond ouvre tout de même de grands yeux et me gratifie d'une grande claque dans le dos, comme si on était nés ensemble. Deux vagins un peu éméchés entourent mon cou de leurs bras nus et me disent qu'elles sont vraiment ravies de me voir avant de continuer leur conversation. Je laisse choir mon blouson, et un autre grand, brun, me sourit avec soulagement parce qu'il s'impatientait un peu. Passant derrière le comptoir de la cuisine, j'échange un chemin vers les bouteilles non-ouvertes contre des poignées de main désintéressées (Eh ! Tu vas bien ? Ça fait longtemps) et des frottements de joues anodins (Salut, ça va ? Salut, ça va ?), jusqu'à une bouteille de whisky, parce qu'on m'a dit l'autre jour que le whisky et moi c'était une grande histoire d'amour. Je te crois sur parole. Retour vers le réfrigérateur, c'est bizarre parce que personne n'a pensé à se servir dans le bac à glaçons, sauvages. Une fois, prêt, je me retourne vers un groupe de personnes pour faire comme si je discutais avec eux et éviter de montrer ostensiblement que quelqu'un s'ennuie déjà. Ils semblent comprendre le contrat et s'écartent un peu pour que je puisse m'asseoir sur le plan de travail.

-En fait, ils ont un master à Oxford (insérer accent subtil ici) sur tout ce qui est sécurité et géopolitique de l'informatique et c'est vraiment un poste à débouchés, donc je vais essayer d'y rentrer après mon diplôme, ça peut bétonner mon avenir.

-Putain, mec, faut trop que je te parle d'un truc, là, c'est trop affreux ce qui m'est arrivé hier, viens, on va plus loin.

-Attends, tu rigoles ?

-Ouais, ouais, je vois, bien sûr, le mec va pas se laisser faire.

-Vas-y, mon verre est vide, tu me passes la bouteille ?

-Alors, ça fait longtemps qu'on s'est pas vu, tu me racontes quoi de beau ?

-Oh, tu rentres chez toi ce week-end ! T'as trop de chance.

-Nan, mais franchement, faut qu'on arrête de vivre à ce rythme-là, on va pas tenir, je sais même pas si un foie suffira. Tu sais quoi ? Je fais même plus de rêves, tellement je dors peu.

-Arrête de déconner, cet album est nul, le rap français c'était mieux avant, t'as jamais écouté Solaar pleure ou quoi ?

-T'ES SERIEUX ?

-Nan, mais ouais, mais non, mais ce mec est trop génial, on gagnerait trop à le connaître. Après, c'est vrai qu'il a l'air bizarre, mais on s'en fout, non ?

-Vu comme c'est parti, on est pas près de se barrer.

-Il paraît qu'il y a une autre soirée au-dessus, on peut s'incruster en disant qu'on est tous des voisins, ça a l'air carrément plus cool.

-Buffalo, buffalo, buffalo, t'es foutu, mort comme buffalo bill.

-J'ai trop envie de tirer cette affiche, elle serait trop bien au-dessus de mon lit. D'ailleurs, à quand une affiche du White Album ? Ça va trop faire bander les artistes hypo-conceptualistes de Saint Paul.

-Oh, merde, j'ai la masse d'appels en absence.

-Et je t'ai pas dit, meuf, meilleure expérience sexuelle de ma vie, hier.

-Tu viens, samedi ?

-Franchement, conseil d'ami, arrête, arrête tout.


Crois-moi, je suis bien content de tout arrêter, et vivement que je me casse, ai-je pensé, assis sur mon plan de travail, sans pleurnicher et sans taper du pied.

5.3.10

tu pleurais pendant qu'on faisait l'amour.

Dans le train, oscillant dans le wagon-restaurant, il y avait un grand black avec un béret gris, un tee-shirt moulant noir, des colliers en or et une bouteille de champagne à la main. Samuel L. Jackson à Saint Pierre-des-Corps.
Les mecs bourrés dans le train te donnent toujours l'impression qu'ils vont mourir si ils posent un pied sur le quai de la gare d'arrivée.

Quand j'étais gamin, et que j'étais suffisamment con pour filer quinze balles à la SNCF pour mettre ma bite dans un vagin consentant, il y avait le même genre de mec, les yeux fixés sur l'ennui intersidéral entre Bordeaux et Périgueux, la main fusionnant avec sa Guiness. Un grand inspecteur Derrick, avec le trench beige au col relevé, les yeux injectés de sang et son doigt boudiné serré dans une trop vieille alliance. À un moment, il est tombé. Sa bière s'est renversée un peu partout, un peu sur moi, et des enfants ont crié. Ils ont probablement crié à sa place. Je les ai regardés pour qu'ils se taisent, parce que l'inspecteur avait l'air de souffrir terriblement, mais eux imploraient leurs mères somnolentes de leurs yeux et de leurs petits doigts boudinés. Il a réussi à se relever, doucement, malgré le train qui tangue et son coeur qui dérape. Il ne s'est pas excusé, non, bien sûr que non, il n'a pas dit un mot. Il a serré son poing très fort et son menton tremblait un peu, dans le reflet de la vitre. Puisque je le sentais pleurer, j'ai crié dans ma tête, très fort, je lui ai crié que tout irait bien et que ce n'était pas grave d'être seul.