27.12.09

vivement que je sois riche.

J'aurais pu passer une matinée délicieuse, à paresser dans mon lit, des viennoiseries parsemant le parquet de ma chambre, essayant d'éviter de tacher mes draps avec un café brûlant. J'aurais pu me lever doucement, sur le dos, puis sur le ventre, une jambe s'échappant du lit, puis l'autre, jusqu'à ce que je finisse par m'asseoir, face à la fenêtre. J'aurais aussi pu hésiter sur la cigarette que je fumerai en regardant passer les bateaux-mouches et les mouches-touristes, du haut de mon perchoir saint-louisien, tout de caleçons et de maillot de corps vêtu -le froid n'attaque que les esprits faibles et les romantiques.
Mon double éveillé s'étonne lui même en se précipitant pour répondre au téléphone. Dieu seul sait pourquoi, c'est la première fois qu'elle m'appelle directement, outrepassant les 244 caractères des opérateurs téléphoniques -quand j'étais en retard pour cette projection privée de Tati ne compte pas, j'étais défoncé et j'ai du lui offrir un verre à 12€. Plus que son nom qui scintille sur mon portable, c'est sa voix aiguë qui me réveille. Et qui me dit qu'elle est bd Henri IV. Allons bon. Pendant une seconde, je considère l'alléchante possibilité de lui dire qu'elle me réveille et que je la rappelle très rapidement, mais le RER A menace de me l'enfermer dans son ventre de gréviste métallique pour trois bonnes heures. Alors je lui dis que non, bien sûr que non, tu ne me réveilles pas, oui, je me souviens du café, oui, avec plaisir, oui, je peux être prêt dans quinze minutes et je t'ouvre, à tout de suite, je t'embrasse. Elle serait montée si j'avais eu un peignoir digne de ce nom sous la main, avec un vinyle de blues et un verre de brandy, mais on fait avec ce qu'on a, hein, on sera riches plus tard.
Dans la douche, j'oublie de me dépêcher, parce que je repense à mon rêve. Je crois que ça parlait de partiels, de Venise, de monstres et d'une chemise blanche qu'il fallait que je retrouve. Je sens le sperme de Freud jusque sur mon front savonneux. Je me sèche rapidement en me tripotant les burnes d'une allègre façon alors que mes pensées vont vers son air exaspéré dans l'air froid du matin (ah, non, c'est vrai, treize heures n'est pas le matin), quelques mètres plus bas.
Mon nouveau rasoir, arme de poche, me coupe la lèvre sans pitié et l'eau sauvage, qui n'a jamais aussi bien porté son nom, me distille un peu de lave au coin de la babine, si bien que j'enfile différents bleus criards à rayures, sans y prêter aucune attention, et me dirige d'un pas brutal vers l'interphone, géniale invention qui a fait croire à la plèbe que ce concept n'existait plus.
Stop. Arrêt petit déjeuner, café en route et insultes de routine au lapin qui s'agite dans sa cage, comme s'il était devenu musulman et qu'on avait caricaturé sa carotte.
Au moment où mes doigts laissent une trace de Nutella (on est tous de grands enfants) sur le combiné de plastique blanc, je réalise qu'il faut d'abord que je lui donne le code de l'immeuble. Consciencieusement, je saisis une feuille blanche qui attend tranquillement son heure dans le ventre de l'imprimante et m'attable. Je prends une écriture d'adulte blasé/chirurgien avec 20 ans de carrière pour tracer quatre chiffres, une lettre et un numéro d'étage au milieu de la feuille, aussi bien que si c'eut été fait avec Word. Comme ça n'allait pas choir tout seul jusqu'à ses talons/escarpins/sneakers (entourer son choix du moment), je suis allé chercher un double des clés dans la boîte à cravate Hermès de l'entrée et l'ai glissé dans la feuille pliée en quatre. Une fois sur le balcon -qui va de Bercy, concerts et ministère, jusqu'à Notre Dame des Japonais armés de Canon-, j'ai quand même vachement froid. Je repère vite ses cheveux éparpillés sur des épaules de petite fille, et tente de faire en sorte que l'enveloppe improvisée volète au bout de son nez très légèrement retroussé. Elle sursaute, regarde vers le haut en protégeant ses yeux noirs du soleil, mais n'arrive pas à me voir. Elle hausse alors les épaules, s'accroupit pour ramasser la clé du paradis (enfin, la clé de sol, dans l'immédiat, désolé pour le mauvais jeu de mots, il est tard) et entre dans l'immeuble. J'ai à peine le temps de trouver un truc à mettre sur la stéréo que j'entends déjà la porte qui s'entrouvre timidement. Le bruit de ses talons est vite couvert par Klaus je-sais-plus-comment, le type avec les synthés, qui a retourné les tripes de stagiaires à la Staasi.

en fait, j'ai pas d'inspiration, ça me fait chier, bonne nuit.

21.12.09

touche à ta bite.

l
Cette fille est un véritable bourbier psychologique.
l

18.12.09

j'ai relu sendak en cours de socio.

Papapapapapapapapapa /


Max, roi des Maximonstres, se sentit très seul.

Il eut envie d'être aimé, aimé terriblement.



« Vous êtes terrible !

Vous êtes notre roi ! »


La sociologie est donc terriblement engageante.


J'aurais du te jeter des boules de terre sèche (dirt) quand j'en avais l'occasion


Sa position intellectuelle doit-elle être engagée ? N'est-elle pas une invention libérale pour nous vendre rêve après rêve la compréhension de l'humain, pour que nous trouvions enfin l'endroit où se cache les choses sauveges (protip: sous les côtes du mort).


Alors, dépassons, jeune fille, dépassons par la rigueur.



WHERE THE WILD SOCIOLOGICAL BEHAVIORS ARE.


Why is the world out of coffee when it needs it most (ie not being able to play old games in order to try to remake an ersatz of childhood. Pokemon ftw) ?



La sociologie se construit en réaction au naturalisme. Selon la phrénologie, les bossus sont les majors de polytechnique. Faciès & Moeurs, où l'arabie derrière les barreaux pour la plus grande gloire d'un arbre pour daltoniens.


J'ai déjà rencontré ces bottines, près de Brick Lane; sans le talon exubérant, et avec un peu plus de flou de bougé.


V. S. est en vidéoconférence avec un sourd qui lui mime ce qu'il doit dire pour son exposé. D'où les hésitations et les roulements de sourcils.


Ah, merde, alors. Une contradiction entre visée positive et son impossilité, mais les Osts de Boltanski et de Burawoy débarquent en Terre Sainte pour mater la rébellion des insurgés négationnistes. Encore et toujours, les valeurs cautionnent la critique. Ne comprendront-ils jamais qu'un critique n'est qu'un triste individu qui ne peut pas sortir d'un cinéma sans ouvrir sa gueule ? Tristes, et le jour pour nous sera comme la nuit.


sybil, it is, possibilities.


La contingence de rêver d'évasion et de se retrouver en algérie, tournant sur eux mêmes comme des derviches ivres dans une ville devenue grise.


lolita, light of my life, fire of my loins. my sin, my soul. lo-lee-ta. the tip of the tongue taking a trip three steps down the palate to tap, at three, on the teeth. lo. li. ta.


she was lo, plain lo, in the morning, standing four feet ten in one sock, she was dolly at school, she was lola in slacks, she was dolores on the dotted line but, in my arms, she was always my lolita.


old, smoking old, dolly schiller.


l'influence mutuelle de la théorie de la réalité, et de la réalité sur la théorie. et le regard lassé de V.S.


Dame !


ALL IS LOVE, IS LOVE, IS LOVE, said karen o, carol and even that goat no one ever listens to.


the waow ending is always an argument, an escape through a forest (if no forest can be found, please run down the stairs), and the meal -all warm- in a small kitchen, being watched over. it is strictly forbidden to wear black mascara or any white shirt during all the scene, pour que le script puisse s'enrouler autour de ton coeur, emballé c'est pesé.


la peau est le fardeau de l'italie. le lyrique, celui des jeunes hommes bien éduqués.


Et puissions-nous crever, pour la beauté du geste.

Qu'un seul vienne, et tous les autres suivront. Qu'ils s'amènent, et tous les autres cèderont.


notre passé est triste, notre présent est tragique; heureusement, nous n'avons pas d'avenir.

15.12.09

cette fumée me pique le coeur.

Le monde devrait être gris, les yeux des belles filles devraient être gris, la musique devrait être grise. Un gris sale, teinté de noir, des taches sombres comme des coups sur une caisse claire, des zébrures blanches comme une voix qui perce sur la cithare. En attendant leur métro, les gens devraient taper du pied, hurler en coeur, laisser le clochard être soliste avant de le laisser choir à nouveau dans sa merde, grise. Le carré blanc sur fond blanc est une perversion de la nature, et la guerre ne devrait pas avoir le privilège de cette couleur parce qu'un espagnol transpirant en a un jour décidé ainsi.
La fumée d'une cigarette est grise. L'haleine qui s'échappe de nos poumons chaque hiver est grise, le dioxyde de carbone qui a transformé Copenhague en temple du politiquement correct est gris, les murs des maisons qui s'écroulent sont gris. Nous devrions être; grisés.

14.12.09

café froid et pain rassis.

Il y en a qui se croient terriblement cools en froissant des tickets de métro parisien quand il sont dans une ville de province. HAHAHA, je ris de les voir si cons en ce miroir, dirait la grosse (ou la fleur, ça dépend de votre niveau d'éducation). Il ne manque alors que les fourrures de castor du Canada synthétiquement répliqués sur le col de leurs doudounes pour que la troupe soit au complet, que les rideaux ne retombent jamais et que les coquelicots fleurissent en mai. Les fils de putes aussi fleurissent en Allemagne, et le port de Hambourg sera toujours moins bien que celui d'Amsterdam, aux quais rongés par les larmes au mascara de ces vocalises qui dessaoulent sous un ciel déprimé. HAHAHA, l'image du ciel qui revient, c'est Simba qui voit son papa dans les étoiles, sans savoir que pumba est dealer de champignons hallucinogènes, et la savane finit par devenir un jardin d'éden où les bananes roses sont épluchées en permanence par une armée hilarante d'hommes-tapir, petits, tout petits, sous-alimentés et sous-aimés. On n'y peut rien, ils sont petits, et encore heureux que mon lobe temporal ne perçoive plus les couleurs comme tous mes congénères, parce qu'être roux, ça ne pardonne pas. Non, même si on a d'excellentes initiatives, et qu'on fait rougir de bonheur Adam Smith par la rapidité de nos employés à éplucher des noix de coco. On n'épile pas les noix de coco ?

11.12.09

non, je n'ouvrirai pas mes rideaux.

Ca m'a pris d'un seul coup, sans prévenir. La bombe sur les bridés, les grosses semelles des combinaisons blanches sur la Lune, Schwarzenneger qui débarque chez toi, la seconde où l'on réalise qu'on ne tiendra pas sa promesse de ne pas jouir dans sa bouche. Pourtant, tout allait bien. La musique était bien. Le rire arrivait à venir tout seul. Les verres refusaient de montrer leurs fonds. Les filles étaient jolies -enfin, suffisamment bien habillées et avec suffisamment de maquillage pour qu'on le croit. Et puis, j'ai senti le vide. Le grondement impératif qui rompt toute discussion et qui, aidé par l'alcool, dicte sa loi. J'ai la dalle. Je ne sais pas depuis combien de temps je n'ai pas eu un vrai repas mais, là, c'est pire que tout. J'abandonne le mec qui me racontait sa vie seul face à son absence d'anecdote et fonce directement vers le bout de carrelage blanc que j'ai aperçu en entrant dans l'appartement. L'instinct vient de m'envoyer un Wizz (d'où le qualificatif de primaire) pour me signaler que c'est par là que je trouverai un frigo. Effectivement, il y en a un, derrière une blonde entrain de se faire moudre les lèvres par un type avec une chemisette et une casquette des Spurs de San Antonio. Je glisse ma main contre ses fesses, carresse la poignée du frigo en maugréant un mot d'excuse, pour n'être plus que face à des étagères désertes, agrémentées de condiments et de tupperware vides. Je rêve du Bon Marché, de la Grande Epicerie, de la nuit que je ne passerai jamais dans un Leclerc, à me casser le ventre sur tout ce que je trouve. On me caresse les côtes d'un geste délicat, la fille de tout à l'heure probablement. Ta gueule, j'ai la dalle. Désolé d'être agressif; dis-moi où je peux trouver un kebab, et le saint graal ne sera rien de mieux qu'un gobelet en plastique. Impossible, on est soir de match et l'Algérie a perdu contre une bande d'inconscients et nos rues ne demandent qu'à égorger du blanc. Pas de kebab. Si, en haut de l'étagère, il y a un éclat blanc. L'intérieur scintille, tout de carrés en diamants. Un kilo de sucre de chez Carrefour. Je tiendrai jusqu'à l'aube.

9.12.09

tu dis n'importe quoi, ma toute belle.

Les choix politiques des jeunes se résument alors à choisir quel côté, doré ou argenté, de la couverture de survie ils préfèrent, quels insultes ils ne jetteront pas à la gueule du nouveau copain de leur ex, quelle bouteille de whisky ils n'achèteront pas pour boire seuls chez eux, comme dans les films. Le type devant moi se frotte les lèvres avec le pouce, est probablement persuadé que Belmondo est un gros con, et n'a toujours pas enlevé l'étiquette de son protège-documents 80 vues Eco+. Le seul produit Eco+ que j'achèterai jamais sera du désherbant, pour faire sauter la permanence UMP du bout de ma rue. Non, les jeunes ne sont pas frustrés, leur connexion internet a lâché, alors il fallait bien qu'ils trouvent un truc à faire à la place. On aurait pu continuer à fantasmer sur la voisine du devant dont le haut choit délicieusement sur son épaule, laissant apercevoir une bretelle de soutien gorge mille fois plus sensuelle qu'une vidéo dont les tags oscillent entre rough et anal. On aurait aussi pu rester habiter dans la cave de nos parents en cherchant la meilleure résolution possible d'une vidéo de taylor swift. On aurait probablement du, ça aurait évité beaucoup de paperasse à la fac, à la mutuelle, et au commissariat.

8.12.09

son prénom, c'est vraiment Nagui ?

j'ai envie de me souvenir de ce bout de poème, et l'interface d'OpenOffice est bien trop moche pour que je l'y colle sans que ça ne revienne me hanter cette nuit, donc j'envoie au diable les stéréotypes adolescents qui ne recopient même plus du one-legged-arthur pour laisser ça.

"Etre saoul, vous ne savez pas quelle victoire
C'est qu'on emporte sur la vie, et quel don c'est !
On oublie, on revoit, on ignore, et l'on sait;
C'est du mystère plein d'aperçus, c'est du rêve
Qui n'a jamais eu de naissance, et ne s'achève
Pas, et ne se meut pas dans l'essence d'ici."

Verlaine, Jadis & Naguère.

6.12.09

PEIGNONS DES NUMEROS SUR DES CARAPACES ET ORGANISONS DES COMBATS DE CRABES

la main de la fille devant moi, qui ne cesse de tapoter l'anse de son sac, me fatigue encore plus que les vaines tentatives de la vendeuse pour savoir si certain pack de bières a une quelconque promotion. c'est qu'elle veut faire plaisir au consanguin assoiffé fiché devant son comptoir. l'autre (celle qui m'énerve) est vaguement blonde, doit frôler les vingt ans, sent plutôt bon, et elle se ronge les ongles. [[talk about a turn-off / The Kinks - Lola]].

je sens que ça piaffe d'irritation, derrière moi. c'est vrai que mon casque n'isole pas du tout, et qu'on entend tout ce que j'écoute parce que c'est toujours trop fort. grâce à ça, l'hypothétique vieux derrière moi a déjà pu se replonger dans les souvenirs qu'il garde de son ancien [[correspondant berlinois / Tangerine Dream - Ricochet]].

je ne sais même pas si c'est un de ces vieux qui se ressemblent tous, beigeâsses, bornés et secrètement laconiques. ça n'est peut-être qu'une mère de famille qui, dans sa folle jeunesse, avait acheté en cachette son [[vinyle de transformer / Lou Reed - Hangin' Round (acoustic)]].

mais ce vernis rouge vif -pourtant une valeur sûre dans ce monde qui affole même [[nicolas hulot / Trailer Syndrome du titanic]]- ne cesse de s'agiter sur le cuir du sac Longcheum, et j'ai une envie formidable, qui grimpe depuis mon poing jusqu'à ma mâchoire contractée, de lui arracher chacun de ses ongles pour lui en faire un collier (sérieusement, ça pourrait être très joli), après avoir creusé des petits trous nets et ronds dans ses gencives, mais je dérive bien trop vers anxiolytiques, patrick bateman et les [[talking heads / Nouvelle Vague - Road to Nowhere]] pour un supermarché de quartier.

le moche a délicatement emmené sa pisse pétillante, la fille s'en est allée avec ses carottes et son vin blanc, la caissière sans âge tripote mon whisky pour trouver le code barre et fait mine de ne pas entendre les [[sons étranges / Pink Floyd - Hey You Trance Remix]] qui giclent de mes oreillettes molletonnées.

4.12.09

consanguiniser, c'est tricher.

quand ils demandent de l'argent, les clochards ne disent quasiment jamais « s'il vous plaît ». je veux dire, ils peuvent être pauvres, laids, avoir des fringues de merde, des cheveux gras et fumer du shit dégueulasse pour [[se défoncer en pensant à leur enfance / Sun Ra - Spaceship Lullaby]], mais ils ont tout de même le droit d'être poli quand ceux qu'ils happent à la sortie des supérettes ont l'inconscience de leur filer vingt centimes pour renflouer leur budget misère.

au-dessus, dans leurs triplex infinis avec des piscines au premier étage, les joyeux lurons des classes immensément supérieures n'ont probablement pas ce souci; emburkanés dans leurs hoodies american apparel, ça écoute des [[rappeurs US inconnus / Mickey Avalon - Waiting To Die]] qui les rendent cool auprès des amas humanoïdes de mascara et de vestes en jean trop courtes (qui n'ont pas pu être achetées à Brick Lane parce que y'a des pakis partout et qui dit peau sombre dit blanche en danger). ça porte des tee-shirts des clash, des ramones, des beatles et de joy division : on se démarque comme on peut des [[sonneries de portable de collège / The Kooks - Seaside]].

si jamais un type complètement dérangé (de fait nominé à la médaille des services rendus à la nation) organisait une bataille rangée entre, disons, quatre clochards et une demi-douzaine de mèches brunes, je me demande qui gagnerait (on ne compte pas les chiens des clochards, bien sûr). à l'évidence, si les amalgames sus-mentionnés supportent leurs mâles en [[s'agitant dans tous les sens / Them Crooked Vultures - New Fang]], et gueulent de foutre un coup de schmooves dans le piercing nasal du grand avec les dreads, les lycéens peuvent peut-être tenir plus de cinq minutes. quoi que, si on finit tout de même par lâcher les [[clébards galeux / Pink Floyd - Mademoiselle Knobs]], les paris peuvent être faussés et le bookmaker risque de finir dans une benne à ordures avec un sac en plastique Monoprix sur son gros nez.

ad majoram [[ludwig von krauthoven / Stanley Kubrick - Joy Hymn]] gloriam.

2.12.09

Marc Lévy n'est probablement pas un gros fumeur.

Ca fait un mois et une grosse douzaine de jours que je n'ai rien posté ici. Sur l'autre non plus, d'ailleurs, mais l'autre peut être excusé parce qu'uploader des photos, c'est long et chiant.

J'avais commencé deux trois trucs que j'aurais pu publier, indeed, mais comme beaucoup de choses que je commence, je ne finis pas.

Donc la seule chose que j'ai sous la main, c'est le pitch d'un court/moyen-métrage qu'on a la possibilité de tourner à la fac. Donc voilà, plus que de la forme, c'est du (peu de) fond dont il s'agit cette fois.

Le film a pour ambition de raconter une journée d'un ou plusieurs étudiants censés être lambdas. Le décor sera majoritairement celui de l'IEP, mais aucun nom ne doit être cité.
  • Le film commence sur un réveil de quatre étudiants, visiblement après une gueule de bois. Le quatrième est le seul à ne pas se réveiller à temps, et sera le fil conducteur de l'histoire (on l'appellera G1). C'est lui qui prononce les premier mots, "Et merde". La matinée commence sur le perron de l'IEP, où quelques individus, dont deux qu'on a déjà vu parlent du cours d'amphi auquel ils n'ont pas envie d'aller, puis d'un moche qui passe et comme quoi le monde serait vachement mieux sans les moches et quels genres de plans quinquénaux on aurait du mettre en place pour effacer les moches, ou du moins les cacher dans le métro ou faire des bars aux vitres teintées. Un stéréotype est fiché parmi eux, petit boulet aux grands rires niais.

  • Après quoi, ils partent en amphi, où ils ne s'intéressent pas beaucoup.

  • En sortant, G2, F2 et deux autres personnes croisent G1 qui demande ce qui s'est passé pendant le cours, et, après un léger blanc, demande qui veut aller au cinéma, puis se met à expliquer que le film est absolument génial, etc. C'est chiant un type qui vous dit qu'un film est génial. G2 veut prendre l'ascenseur pour aller en bibliothèque mais la majorité préfère prendre les escaliers. dans les escaliers, ils discutent du prof qu'ils viennent d'avoir et que c'est un abruti fini, du fait qu'ils aient trop de travail, qu'ils faut qu'ils arrêtent de sortir/de boire, et lâchent deux de leur groupe (les deux inconnus) au premier (ils font une légère halte pour débattre d'une éventuelle pause clope puis renoncent) et deuxième étage avant d'arriver au troisième. là, sort de l'ascenseur une fille superbe, hautaine et froide (F1). S'ensuit un moment cliché avec un peu de musique (The La's, There She Goes), où la caméra suit ses jambes le long de la rambarde jusqu'à la porte de la bibliothèque où elle remonte sur un panneau "silence".

  • En entrant dans la bibliothèque, ils ne sont donc plus que trois, G1, F2 et G2, et G2 commence à parler de F1, de manière très casual. F2 rentre en mode potin, G1 s'en branle à moitié. Passe un BG qui leur dit bonjour de la tête, G2 active le mode socialisation (dédain passager avant de réaliser qu'il faut être gentil), parce que c'est un mec à priori cool, qui discute d'une soirée où il n'était pas (quelle heure êtes vous rentrés, vous avez vu la baston, etc. ?) (G1 s'en fout et lit un bouquin). Passe aussi une fille presque pas banale, à qui G1 propose d'aller au cinéma, en sortant le même speech, ce qui fait chier G2, qui va chercher un livre. Ils font semblant de bosser dans la bibliothèque, et la recherche de livres par G2 qui écoute sa musique (Rebellion (Lies), Arcade Fire) peut être une occasion de jouer un petit peu de la caméra entre les rayons.

  • Ca va être dur, il y a peu de rayons, mais il finit par tomber par F1, avec qui il établit un contact visuel (je tente vainement de me pardonner pour cette atroce métaphore militaire), puis il la suit, tant bien que mal, lui tourne autour et finit par la voir, loin, assise à une table avec une de ses amies. L'amie lui jette un coup d'oeil en souriant, il va la voir et lui demande si elle va à la soirée organisée par le Bureau Des XX ce soir, parce que ça sera super cool, et qu'il y a un before tout près, et que tout le monde peut venir, jette un petit coup d'œil à F1, d'ailleurs si toi aussi (F1), tu veux venir, t'es la bienvenue, c'est XX rue Y, près de Z, je compte sur vous, la copine dit qu'elles ne pourront pas venir au before, mais qu'elles essaieront d'être là ce soir. G2 repart à sa table, il est tout content mais essaie de ne pas le montrer. G1 tweete "crushes are for sissies", relève la tête de son ordinateur et demande si on se casse après avoir demandé de lui rappeler ce qu'ils faisaient ici.

  • Transition: F2 et G1 sortent de la boulangerie avec leurs sandwichs, et G1 lance une conversation sur la reproduction des grenouilles en guyane francaise (TARANTINO-style). F2 croise le même mec lambda BG, et l'allume doucement en lui parlant de la soirée de ce soir. Signes d'affection exubérants et commentaires sur son petit cul. Reprise difficile de la conversation sur la conservation des grenouilles (FAIRE UN PARALLELE ENTRE LES GRENOUILLES ET CE QUI VIENT DE SE PASSER, ie les femelles crient à plein poumons qu'elles sont en chaleur).

  • Séquence de cours, avec un long plan-séquence sur des élèves faisant leur exposé devant un tableau blanc, sur des élèves les regardants, sur un pied qui se balance, sur des yeux qui regardent dehors, puis sur le dehors, puis sur deux élèves concentrés, et qui jouent à Mario Bros, l'un avec un écran de Game Over (l'autre dit que celui qui a perdu est une merde).

  • Ils (G1/G2) descendent de l'IEP, passent devant le Majestic, et G1 regarde le programme pendant que G2 s'impatiente, disant que les bouteilles de vin ne vont pas s'acheter toutes seules. Ils arrivent chez lui, et tentent de mettre un vinyle, mais ça ne marche pas parce qu'ils n'ont pas de diamant, alors il mettent la musique sur le PC. Make Up, de Lou Reed, et on passe directement à F1, la copine de F1, G2, une de ses copines, qui se fringuent et se maquillent. Au moment de "Out of our closets", tous les quatres sortent, G1 et G2 se disent au revoir.

  • G2 arrive devant la boite, et il y a F2 qui attend devant, en caressant le type et en rigolant (sous-titré: baise-moi). Il voit aussi F1 qui discute avec deux trois personnes très sages. Elle lui jette un coup d'oeil, puis rentre se dirige vers l'entrée. Lui dit bonjour à quelque mecs, croise son regard une deuxième fois et il finit par rentrer. Dans la boite, c'est un peu le bordel, filmé à la première personne, avec Kraftwerk derrière (Showroom Dummies). Si on peut avoir un plan de filles qui éclatent de rire avec cette musique, c'est le pied.

  • À l'intérieur, il retape sur quelques épaules, trouve un verre de whisky rempli, le vide, et regarde F1 danser pendant quelques secondes, puis la regarde aller discuter avec son amie et un autre mec. L'amie et le type flirtent, il en profite pour aller les voir et il discute avec F1. Va savoir de quoi, mais comme ils ne s'entendent pas, c'est sous-titré à l'écran. L'amie finit par choper le mec ou vice-versa, tandis que G2/F1 deviennent tactiles, puis F1 se barre à cause de l'irruption d'un autre type qui veut absolument la voir.

  • G2 finit par sortir de la boite, bourré, F2 est entrain de choper violemment un quidam, et F1 fonce sur lui en lui demandant si il rentrait, par où, ah ça tombe bien moi aussi. La caméra repasse en 3° personne.

  • F1 lui ouvre la porte de chez elle, elle est raide bourrée, lui aussi, ils rentrent tous les deux, et elle lui dit qu'elle n'en a que pour quelques secondes, elle va se changer parce qu'elle a une tache de vin. G2 s'asseoit sur son lit, et croise drame sur drame dans le studio. Marc Lévy, Twilight, Lol, poster des Kooks, petit crucifix, des milliers de bouquins de cours, des fiches parfaitement faites, de la gutter press à en vomir, l'enfer. Elle revient, lui propose une bière qu'elle décapsule avec les dents. Elle commence à boire, puis la pose par terre, et tandis que lui est assis sur le lit, elle l'enfourche, le chope super salement, lui dit que putain, elle en crevait d'envie. Lui a les yeux ouverts, dubitatif. Il finit par la déposer sur le dos et dire qu'il revient ("Tu vas mettre une capote ?"). Il se casse.

  • Course dans Lille de G2, via une rue Solférino où tous sont bourrés. You Look Great When I'm Fucked Up, des BJM, filmé sur un vélo au ralenti, un légèrement vaccillant, qui louvoie entre des beaufs. (le problème est de se débrouiller pour qu'ils ne regardent pas la caméra.

  • G1 sort du Majestic, tout content, sort une cigarette, puis tourne la tête et voit arriver G2. Il sourit, et sort une deuxième cigarette et lui tend. Il lui demande si ça va. Pas de réponse. Lui, il a passé une super soirée, le film était formidable. Quand il allume sa cigarette, la musique commence "This is Hell", Costello. Sauf qu'on ne peut pas finir comme ça, c'est bien trop Ingl. Bast.

  • Ecran sms: "tu fais quoi ce soir?" Envoi à "Thomas plan cul", on voit la figure de F1 qui ne sourit pas et s'allume une clope.
  • Si le générique est assez long, on peut passer la musique en même temps qu'une séquence qu'on aurait filmé normalement dans l'iep avec la caméra en demandant aux étudiants qu'on croise de faire coucou à la caméra. ils auront tous l'air heureux.

16.10.09

ce n'est pas vraiment le début.

Me voilà, courant le long du boulevard S., sans regarder des affiches colorées qui exaltent soldes, promotions et fermetures en attendant patiemment d'être dépassées, l'une après l'autre. Elles sont devenues le décor irréel d'une interminable piste de course qui n'existe que dans mon crâne. Je ne sais pas si je poursuis la tache bleue foncée aux bracelets dorés qui vient de s'engouffrer dans la rue de droite ou si je tente d'échapper à cette lueur tamisée, disparaissant peu à peu derrière mon épaule, du troisième étage d'un immeuble d'un appartement tout à fait correct du sixième arrondissement, quartier agréable, voisinage tranquille, préférant jeunes cadres riches et occupés, mais je suis conscient que je cours de toute mes forces, distordant mes muscles pour rattraper, ou pour fuir, une réalité à tête de femme. Il reste encore quelques passants solitaires, rentrant paisiblement au domicile conjugal, et de rares serveurs fatigués, fumant leur dernière cigarette avant leur débauche, qui me regardent d'un air curieux, comme on regarde un clochard qui refuse de faire l'aumône, ou une jeune fille qui s'est teint les cheveux en rose. On ne voit pas assez de gens courir. Le temps de parcourir une centaine de mètres, et je n'y fais déjà plus attention, et tous les spectateurs que j'ai laissé derrière moi ne se sont sans doute pas retournés.

Au-delà du simple effort physique, courir a l'étonnante faculté de nous faire oublier pourquoi nous faisons cela; arrivés à notre vitesse de croisière, l'esprit n'est plus monopolisé que par les reliefs du sol, ceux qui pourraient s'avérer être des appuis efficaces, ceux qu'il faut éviter sans perdre de temps, et par l'arrivée, par l'endroit, la chose ou l'individu qui perd alors toute définition pour ne devenir plus que ce qu'il faut atteindre, le plus vite possible. Le flux de pensées qui nous a poussés à nous précipiter à pleine vitesse au milieu des autres - des marcheurs-, se retire alors, somnole discrètement avant que des halètements et des douleurs à l'abdomen ne le préviennent de la fin du périple, et de la nécessité de reprendre nos esprits. De manière plus évidente, les regards, indignés ou curieux, que nous jettent les passants lorsque nous les esquivons prestement finissent par ne plus nous atteindre, et par ne plus être perçus. Et même si, de temps à autres, l'un ou l'autre nous adresse un discret sourire d'encouragement, nous libère le passage ou se contente simplement de se sentir concerné par l'effort que nous accomplissons, seuls comptent le regard que nous posons sur l'arrivée, et celui qu'elle daigne parfois nous adresser.

Dans l'immédiat, mon arrivée à moi, une jeune femme blonde, qui -ayant le même âge que moi- ne fait pas ses vingt-six ans, se dérobe aux contours floutés de mon champ de vision au bras d'une silhouette noire enchemisée et encravatée. Sa démarche et ses chaussures, bien que apparemment assurées parce que masculino-machiste, me frappèrent, la première fois que je les ai croisées sur le seuil de mon appartement, par leur habitude à fouler des tapis feutrés de bureaux à baies vitrées plutôt que toute autre surface. Et c'est à côté de ce genre de type que marche Charlotte. Dont le sillon vient d'être tranché dans le vif par un torrent de phares et de pneus, libérés subitement par l'apparition d'un feu vert. Je ne sais jamais quoi faire lorsque je vois mon trajet devenu subitement impraticable. Ma conscience redevient alerte, et cherche avec affolement un itinéraire alternatif qui n'interromprait pas le flux d'adrénaline qui m'a porté jusqu'ici. Je me risque à ne pas ralentir, et à utiliser le panneau Cédez Le Passage pour profiter le l'énergie centrifuge de mon corps et optimiser mon virage à droite. Réminiscences lycéennes d'un laboratoire de physique. Surprise, mon épaule s'engouffre en première dans la rue J., et par la même occasion, entre deux hommes, légèrement plus jeunes et moins bien habillés que moi, surpris sur le chemin du retour de leur bar qui sert des pintes à quatre euros par un fou à pleine vitesse. À bout de souffle, je me retourne brièvement vers eux pour leur adresser un coup d'œil désolé, puis continue ma route, enjambant les quelques mètres qui séparent deux voitures pour me retrouver sur le trottoir d'en face, tourner à gauche en ignorant les deux coups de klaxons qui me réprimandent. Deux devantures de bistrot plus loin, et c'est le coin de la rue B. -qui recèle Charlotte, ses ballerines noires et son sac à main en cuir mat-, le long de laquelle se dressent une demi-douzaine de voitures mal garées, autant de policiers griffonnant sur leurs calepins d'incessants numéros d'immatriculation, encore quelques passants innocemment éméchés, et un type anodin qui n'a toujours pas lâché la main de mon arrivée. Conscient d'avoir affaire à des individus à la fierté à fleur de peau, j'oscille précautionneusement entre procès-verbaux et matraques, sans néanmoins prendre trop de retard. Pourtant, elle s'éloigne de plus en plus de moi, alors même que son chevalier servant se rapproche dangereusement de sa belle et grosse auto, engin démoniaque qui ne fera qu'une bouchée de ses yeux en amande, couleur noisette. J'émerge enfin du slalom policier, et pense vaguement aux derniers cent mètres d'une course qu'avait regardée Juliette à la télé. Elle m'avait dit que le vainqueur était particulièrement bien foutu. Plus que cinquante mètres. C'est énorme, cinquante mètres, quand ils vous séparent de votre but, et que ce but s'apprête à aller faire l'amour à un con, probablement sur une banquette arrière en cuir clair. Pour la première fois, une jalousie longuement oubliée se réveille en pinçant mon ventre, et la testostérone vient se mélanger à l'adrénaline. Je me prépare à briser mon rythme de respiration pour lui crier de se retourner au moment où un dernier officier de police (ses épaulettes avaient l'air plus rutilantes que les autres) surgit d'un parking souterrain et se laisse percuter de plein fouet. Et merde. Je parcours sans grande conviction quelques derniers mètres avant qu'il ne me rattrape en poussant un juron.

6.10.09

les bouclés sont des cons, sauf quand ce sont les tiennes.

Je commençais à peine à découvrir l'art de tutoyer un lecteur, la discipline jouissive de répondre à ceux qu'on énerve, et la science délicieusement inexacte et foireuse de la critique de jazz avec boris v. quand j'ai vu que seize heures, l'heure fatidique, allait sonner. Il avait dit qu'il allait arriver à seize heures, pour passer prendre un café, généreusement offert mais qu'il ne remerciera pas, et s'enthousiasmer à propos la superbe rentrée qui s'annonce, dans cette magnifique ville, avec ces fantastiques habitants, sur lesquels il pleut déjà des cordes.

Pourquoi avais-je dit oui ? Parce qu'on avait passé un peu moins de six jours dans la même salle, pour préparer un concours qu'il n'avait pas réussi ? Parce qu'il m'a pris pour un « mec cool » avec qui il fallait qu'il garde contact (c'est mon ego qui parle, là) ? Parce que je suis le seul qu'il connaisse dans une ville où il a débarqué il y a cinq jours, de justesse ? En temps normal, j'aurais été intéressé, aussi bien par sa justification pratique que par la raison sous-jacente, mais puisque je suis devant le fait accompli, je n'ai qu'à subir ses allées et venues.

Je suppose que j'aurais pu refuser. Effectivement, ce n'aurait pas été très gentil, et ça l'aurait foutu dans la merde, mais le personnage que je m'invente n'en aurait eu que faire. À croire que je suis bien élevé, en fin de compte, et que -plus attristant encore- je suinte la même hypocrisie allègre que mes congénères. Et ce, parce que j'écris justement un article où je tente de ne pas citer son nom alors que les détails des six premières lignes suffisent à ce qu'il se reconnaisse. Non que vous soyez si nombreux que ça à me lire, mais le lien de ce blog est disponible sur facebook, et je n'arrive toujours pas à déterminer si c'est le genre de type à écumer les profils des mecs qui réussissent mieux que lui. Je veux dire, je les écume aussi, tous, sans discrimination, mais par pure curiosité, et pour voir ce à quoi ressemblent réellement mes contacts -ce n'est pas leur wall pollué de messages d'anniversaires et de vidéos populaires qui vont m'y aider. En y réfléchissant bien, il ne doit parcourir de son curseur blanc standard que les profils de ses contacts ayant spécifié avoir un vagin.

Ces divagations n'empêcheront pas l'heure de tourner et mon portable de vibrer, avec son prénom scintillant sur l'écran. Je décroche. Sa voix enjouée, légèrement traînante, me dit qu'il est en bas. Pas de problème, je descends t'ouvrir, dis-je avant de refermer un téléphone qui marche toujours lorsque l'enfer sur terre est à l'autre bout de la ligne (insurance salesmen are for pussies, woody). Je me redresse sur mon lit, laisse boris bataillant avec ses lecteurs bornés derrière-moi et laisse passer encore quelques secondes illusoires avant de me lever, récupérer au passage mes clés qui traînent sur la table de la cuisine et d'enjamber la valise (qu'il a laissé la dernière fois et que je n'ai pas touché depuis soixante-douze heures) vers la porte.

Effectivement, il est bien dehors, sans sourire -les vrais types véritablement insupportables ne sourient pas, vous avez remarqué ?-, affublé d'un air cool qu'il a probablement acheté en soldes au marché dimanche dernier. J'ai attrapé au vol une poignée de main quasiment élastique, amorphe, et je l'ai prié de rentrer avec un grand sourire, parce je suis vachement content de le revoir. Finalement, il rentre dans mon domaine et foule mes terres, atrocement décontracté,.et Sa main balance sa valise contre une de mes étagères bancales. « Merde, désolé ! ». Il a l'air confus, et préfère aller s'asseoir sur mon lit que de s'en aller le plus vite possible.

L'ersatz de conversation qui suivit m'ennuie trop pour que mes doigts aient le courage de le taper.

Ce genre de mec est rare.

16.9.09

gustavo dudamel is my homeboi.

depuis que mon rêve s'est réalisé -et que j'habite donc à moins de dix minutes à pied, cinq en courant, d'un cinéma- je passe plus de temps dans des salles sombres avec des inconnus muets que devant mon clavier. l'apprentissage de la vie.

récemment, j'ai pensé à un court-métrage qu'un mec talentueux pourrait faire sans que ça ne devienne atrocement ennuyant. filmer une histoire entre une fille -belle- et trois mecs -beaux ?- dans une sorte d'immeuble, un bâtiment administratif où ils pourraient se perdre dans les couloirs.

si je racontais tout, ce serait franchement crédible, voire alléchant. mais je suis au macdo, des voix incompréhensibles mugissent dans mon dos et des mâchoires ruminent de la fécule à ne plus savoir qu'en faire -même si, accordons-leur au moins ça, elles le font très bien. impossible de parler de tchaïkovsky dans de telles conditions. où même de se remémorer ce qu'il s'est passé en 1812.
même la date sonne bien, vous ne trouvez pas ?



vivement qu'un fonctionnaire suicidaire chez france telecom active ma prise internet.

19.7.09

on a quand même un peu honte de nos ballades.

Il habite dans un immeuble ressemblant à un HLM vaguement délabré, à peu-près propre et d'une couleur qui se veut être du blanc, parfois rehaussé des taches vertes que forment les plantes d'intérieur abandonnées sur le balcon. Ses parents, particulièrement protecteurs, même à mes yeux, lui y ont loué un appartement au troisième étage, de sorte que leur petit garçon -maintenant âgé de vingt ans- puisse avoir une jolie vue. Je gare ma mob branlante entre deux vélos dont je doute de la capacité à rouler correctement, et je sonne. Une voix dans l'interphone m'accueille aussi chaleureusement que le peut un boitier métallique, et m'ouvre pour que je puisse entrer, sans grande envie, dans une cage d'escalier en pierre blanche qui colle parfaitement avec les photographies de bâtiments soviétiques qui peuplaient les pages de mes livres d'histoire au collège -il ne manque qu'une statue glorifiant les efforts surhumains des valeureux travailleurs pour la perpétuation du Parti. Au troisième étage, une porte est entrouverte et laisse entendre une version live de Jimi Hendrix, probablement Woodstock, parce que si Oscar pense avoir des goûts musicaux déviant complètement de la norme imposée par les magnats de la publicité et les major démoniaques -pour reprendre son discours-, il reste quand même dans un domaine très classique.

C'est bien Hendrix qui joue quand je pénètre dans le bordel qui lui sert de domicile. On dirait Sarajevo à laquelle on aurait ajouté l'intégralité des ordures de Naples. Lui est affalé sur un canapé-lit, même si je ne sais pas si il est configuré en canapé ou en lit, devant son ordinateur sur lequel, la musique venant justement de l'ordinateur, il est entrain de regarder le concert, encore inconscient de mon arrivée. Le plancher est jonché de vêtements, propres et sales, de disques, de dessins -tous inachevés-, de poèmes -aussi aboutis que les dessins-, ainsi que de plein d'autres choses que je n'arrive pas à identifier excepté, trônant au milieu de ce dépotoir, une botte abandonnée, appartenant visiblement à une fille (ce qui, de la part d'Oscar, est étonnant), de laquelle s'échappe de la barbe à papa d'un rose fané. Ou peut-être une mousse de bain amenée par cette fille (d'autant plus stupéfiant). Elle s'échappe nonchalamment de la botte, et vient s'aplatir doucement sur une poche plastique de supermarché noir, caractéristique de ces établissements vendant des produits pour adultes uniquement, sur laquelle le rose devient peu à peu mauve. Purple Haze.

- Tu veux une bière ? me demande-t-il une fois qu'il a réalisé ma présence.

- Avec plaisir, mon gros.

- Va te faire foutre, le matheux, rétorque-t-il alors qu'il pioche dans le tiroir d'une table de nuit bordant le canapé, pour en retirer une canette affublée d'un autocollant indiquant qu'elle était en soldes.

C'est parce qu'il pèse quatre-vingt-cinq kilos pour son mètre soixante qu'Oscar apprécie peu qu'on fasse une remarque, quelle qu'elle soit, sur le ventre qui pointe timidement sous son tee-shirt des Clash; le même que les petits bourgeois achètent une fortune chez Zadig & Voltaire. Et, forcément, tout artiste qu'il est, il considère les maths comme l'instrument utilisé par Satan (et les multinationales) pour pénétrer l'esprit des humains sans défense. Je décapsule et cherche vainement un verre propre dans ce foutoir tandis qu'il fait de même avec sa bière et ses dents. Sans prendre la peine de chercher un quelconque récipient. Il finit par me demander d'une voix joyeuse comment je vais. Je lui réponds que je vais bien. Il dit que c'est bien.

- Et toi ? Tu fais quoi de ta vie, maintenant que t'as quitté ta fac d'histoire de l'art ?

- La fac, ce n'était que de l'art formalisé pour correspondre aux esprits formatés par le système scolaire français, mec.

Ses sourcils ont l'air tout à fait sérieux. Je lui souris et rétorque:

- Épargne-moi tes vues politico-bidon et dis-moi ce que tu fais de ta vie, maintenant que tu as échappé aux griffes de ces enseignants démoniaques.

Il prend une grande, grande gorgée de bière.

- J'ai monté une association.

- Sérieusement ? Quel genre ? dis-je, impressionné.

- Une assoc' culturelle, pour montrer à tout le monde ce qui bouge à Bordeaux. Parce que, tu vois, il y a vingt ans, Bordeaux, c'était LA ville rock de France. C'était LA ville où ça bougeait.

- Et maintenant, c'est quelle ville, LA ville rock ?

- Je sais pas.

Un blanc, qu'il comble avec une gorgée de bière avant de reprendre.

- Tout ce que je sais, c'est que c'est à nous, les jeunes générations, de reconstruire ce patrimoine culturel et artistique.

Il se redresse pour continuer. Je sens que le discours qui s'annonce, il a déjà du le répéter des dizaines de fois devant tout ceux qui lui ont posé la question de son avenir, et devant les quelques sponsors auxquels il a tenté d'obtenir un soutien financier pour imprimer des cartes de visite, et avoir l'air plus crédible face aux patrons de pubs et de salles de concerts qui -j'évite de le dire devant lui- voient défiler devant eux des dizaines de ces aspirants managers/rockers s'imaginant aussi bien uniques qu'undergrounds.

- Tu vois, ce que j'aimerais, ce serait d'abord monter des festivals dans lesquels n'importe qui pourrait jouer, des lycéens qui débutent aux types qui commencent à se faire bien connaître sur Bordeaux, un truc vachement éclectique (c'est probablement le seul mot qu'il a retenu de ses cours de littérature). Et puis, une fois qu'on sera bien connus, qu'on aura des contacts dans le milieu -dans sa bouche, le milieu prend une dimension quasi-mythique: une fois dans le milieu, tout devient possible-, ce serait monter un bar, associatif ou non, on s'en fout, mais un bar qui puisse enfin rassembler toutes les courants artistiques qui sont présents dans cette ville. Parce qu'il y en a ! Il y en a partout, il suffit de savoir les dénicher, et leur demander de jouer, d'exposer, de projeter, dans un bar qui serait connu aussi bien par les initiés que par des Bordelais qui, pour l'instant, n'ont rien à branler de ce qui se passe dans leur ville. Ce serait ça, mon avenir, un bar, avec une salle qui servirait pour des concerts, des projections, des pièces de théâtre, des expositions, et où on serait assuré de pouvoir aller chaque soir de l'année en y trouvant quelque chose de différent et d'intéressant, avec des pintes à volonté.

Forcément, les pintes sont toujours présentes dans son imaginaire.

Je reste légèrement dubitatif, en faisant de mon mieux pour ne pas le montrer, au milieu de cet appartement bordélique qui en dit long sur ses capacités d'organisation et sur les éventuelles visites du service d'hygiène dans son futur bar-terre promise.

- Mais tu sais ce que ça coûte, de monter un bar ? Entre le fond de commerce, les locaux, les licences de vente d'alcool...

À ces mots, ses lèvres se disjoignent en un petit rictus de dégoût.

- Mais on s'en fout, Vladimir, on s'en fout ! L'administration tue l'inspiration !

- Non, l'administration ne tue pas l'inspiration, elle lui donne une forme réelle dans notre société.

- Justement ! Donner un corps à l'inspiration la dénature, ce n'est pas possible, ce n'est pas concevable. En fait, je vois l'ensemble de notre société, comme tu le dis, comme séparée entre deux côtés opposés. Non, plus qu'opposés, ils sont antagonistes. D'une part, il y a l'impulsion, le désir, l'amour de l'imagination, tout ce que tu voudras...; et de l'autre, la réglementation, ma bureaucratie, la rationalisation et l'intégration dans une société « bien-pensante ».

- Et comment ferais-tu pour monter ton bar hors de cette société ?

- Je ne sais pas; mais si je savais, c'est que j'aurais pensé mon projet en fonction de cette société qui impose à tous une responsabilité qui n'est souvent pas nécessaire et, si je m'en tiens à la philosophie de mon projet, c'est exactement ce que je ne dois pas faire.

Je me dis qu'il a enfin fini par émettre une affirmation d'un niveau un peu plus élevé que tout ce qui a précédé. Et pourtant, au risque de briser l'impression qu'il me fait, il reprend de plus belle.

- Et mon rêve à moi, c'est de justement de n'avoir jamais à avoir à prendre de responsabilité.

Et voilà. Il est retombé dans les abysses de mon estime. Comme Hendrix psalmodie toujours dans les baffles bon marché (apparemment, l'une d'entre elles a été perforée par un plomb) de son ordinateur portable, je prends une longue gorgée de bière et j'attends. Il attend aussi, et pendant une dizaine de minutes, nous ne disons rien, jusqu'à ce que je lui demande de me passer une autre bière. Je ne sais pas combien de temps nous nous sommes regardés, je n'arrive pas à estimer le temps par la simple luminosité du soleil.

Il me parle un peu de ses conquêtes, sans jamais admettre qu'elles étaient mineures et ivres. Il me parle beaucoup de musique, croyant que je le vois comme complètement underground, en tant que musicien -même si, justement, il n'a pas le moindre talent musical. Il me parle aussi de ses films, de ceux qu'il aime, de ceux qu'il réalise, de ceux qu'il aimerait réaliser. Vers la fin du concert de Jimi qui tourne encore en fond sonore, il me ressort son projet de bar, afin d'obtenir mon approbation, si ce n'est mon admiration, en redoublant d'efforts et d'emphase sur la manière dont son projet est merveilleusement bien goupillé. Je crois même qu'il a mentionné « boîte de prod' », vers la fin.

Ils finissent par me fatiguer, sa philosophie tirée de Peter Pan et lui, je le lui dis et m'en vais. Alors que je passe la porte, je l'entends crier, juste avant que la porte ne claque violemment, emportée par un courant d'air:

- T'as raison, mec, ça c'est rock & roll !

En redescendant les escaliers, je me demande depuis quand est-ce que je suis devenu rock & roll, ce que ça veut exactement dire, et si ça vaut le coup que je mette ça sur mon CV.

10.5.09

celle-là est pour toi, petit bridé.

ça faisait un bout de temps que je n'avais pas écrit ici, parce que j'ai une paresse insurmontable de recopier sur mon ordinateur ce que j'arrive à peine à déchiffrer sur des feuilles.
et puis, comme je m'ennuyais un peu moins, récemment, j'avais pas le temps de faire quoi que ce soit tout court.

force&honneur.

29.3.09

il doit bien y avoir un pluriel à ce mot.

toujours à cause de ce même connard rampant -l'ennui, l'emmerdement, et autres alias-, j'ai rajouté des pubs sur dladsa. si ça se trouve, je vais me faire un putain de paquet de thunes et vous ferait la nique quand j'aurais des putes et de la c à foison.

26.3.09

intéresse-moi un petit peu.

Moi, qui suis parti de rien, et qui suis arrivé jusqu'à un rare niveau d'admiration et de reconnaissance -celle qui ne se sépare plus de la méfiance- de tous les pouvoirs politiques et militaires de la République, moi qui ai débarqué il y a une vingtaine d'années sur le sol français, et qui me suis affirmé comme un des plus brillants esprits des temps présents et à venir, moi qui ai mes entrées dans les plus hautes strates d'une société fondamentalement inchangée, d'un régime à l'autre, si ce n'est la mise à mort de chaque particule; et toi, toi qui n'est rien, qui n'est qu'un corps, qu'une fortune supposée qui ne prendra forme qu'à la mort de ton père, de ton frère, de ton oncle et de ton neveu, qui n'es qu'une éducation calquée sur le manuel de savoir-vivre d'une obscure amante d'un obscur régent prussien, tu crois pouvoir me soumettre à ta volonté de jeune femme blessée dans son ego emmailloté de rubans roses, pâles, entrecroisés ?

Tu penses peut-être m'avoir touché, m'avoir intéressé un seul instant ? Ma pauvre.

Ta pathétique et finale gesticulation face à moi n'a servi à rien, tu me connais, il était inconcevable que je sois quelque peu concerné, blessé -blessé !-, par tes pépiements de paon apprivoisé. Du début à la fin, et surtout à la fin, tu n'as servi à rien.

Et pourtant, je dois t'avouer que, oui, je me souviens de tout. Je me souviens de ce soir lugubre de fin d'automne, avec ces rafales de vent qui suintaient contre mes vitres, fières d'avoir chassé le soleil, et de tes yeux qui me regardaient fixement dans le miroir du salon -tu savais pertinemment que je ne lisais pas ce traité de politique libérale et que je me retenais de relever mon regard pour embrasser le tien-, et de ta bouche qui me parlait durement de ce duc, maréchal, écuyer, fonctionnaire, que sais-je ?, à ce salon, qui lisait si bien la poésie et qui t'a élevée, le temps d'un monologue huppé, dans les robes infinies d'une princesse déchirée par l'amour des puissants. Qu'est-ce que j'en avais à faire ? Ce foutriquet n'était rien, et n'est probablement pas plus en ce moment, alors que je suis penché sur ce feuillet, ignorant les appels renouvelés de mes invités qui attendent dans la rue, privés même des rayons de soleil d'une aurore qui se fait attendre.

Apprendre dix lignes d'un ouvrage en vente dans chaque librairie miteuse est donné à tout le monde; se servir d'une lointaine parenté offrant une éventualité d'autorité pour séduire la première venue est offert à chaque abruti. Ce qui m'a mis hors de moi, c'est ta naïveté brute, qui a propulsé ce minable dans les cieux de ton estime, n'ayant que faire de ma propre place.

Tu te tenais là, impassible, et débitais, phrase après phrase, éloge sur éloge, chacun des détails de votre rencontre, ses habits de lumières, son sourire charmeur, sa prestance, son dégoût des armes et des politiques tortueuses de notre gouvernement, son envie d'autre chose. Dieu, que tu m'as servi et resservi cette qualité, et sa vision de la société idéale s'engouffrait sèchement dans mes oreilles, alors que chacune des théories que ta voix aiguë -elle ne lui plaît sûrement pas autant qu'à moi- résonnait dans les murs de mon appartement, avant de venir se fracasser contre mon front en sueur, contre mes tempes frémissantes. Tu me seras gré de ne pas avoir explosé, de ne pas avoir fait voltiger ton admiration en laissant ma main se tendre vers la bibliothèque de chêne et en permettant à mes doigts de t'indiquer les innombrables pages où il a plagié chacune de ces conceptions du monde. Pourquoi ne l'ai-je pas fait, d'ailleurs ? Probablement parce que je ne pouvais te donner raison, et que je n'eus supporté que tes lèvres fassent choir un « Tu vois ? Louis a bien plus de tact et est nettement plus fréquentable que toi ! » sur ce tapis rouge aux motifs verts -motifs entre lesquels ton corps nu a longuement ondoyé, chacune des nuits de cet été, tu ne t'en souviens pas.

Au bout d'un moment, tu as fini par t'asseoir, de l'autre côté du divan, et tu as parlé de ses rêves, héroïques, et des miens, brutaux. De ses désirs de pouvoir rendre le monde meilleur, et de mes envies de le rendre encore plus admiratif de ma personne. Ta main ne cessait de se tourner et de se retourner sur ton genou, et plus tu me décrivais les moyens qu'il t'avait exposé pour appliquer sa vision du monde parfait, plus elle s'élevait dans les airs et retombait doucement; il proposait au regard ébahi que tu devais alors lui jeter d'accorder à chaque citoyen un droit d'entrée illimitée à l'Assemblée, à chaque marchand de ne plus vendre ses biens contre de l'argent mais contre du talent et des services réciproques, et ainsi de suite.

Tu penses peut-être que je ne suis pas à la hauteur, tu penses sûrement que je n'ai jamais voulu changer ce monde dans lequel languit mon arrogance que tu dépeins si bien et tu es persuadée que je ne chercherais jamais à t'impressionner par mes actes -ils sont si barbares, si militaires. Tu n'as pas osé me le dire, mais j'entendais ces paroles fulminer en ton for intérieur, désirant ardemment s'expulser de ta gorge blanche. Tu es partie, pratiquement en riant, et tu as laissé derrière toi une odeur condescendante qui n'a pas réussi à me rendre fou de rage. Je vaux plus que qu'un minable serviteur qui a emprunté la tenue de son maître pour te faire la cour. Je suis capable de changer le monde, et je n'ai pas besoin de soudoyer ton cœur pour en avoir la volonté. Tu n'as jamais été le centre de ma vie, mais ce que je vais faire, je vais le faire pour le plaisir d'imaginer l'incrédulité qu'afficheront tes traits, déjà dans le coffre du passé de ma conscience, même si je me sentais à l'aise, dans cette société qui répugnait tant celui qui prit pour un court instant ma place dans tes bras.

Je termine cette lettre, dont le haut est peu à peu illuminé par le soleil de Brumaire qui se lève avec peine. Les grattements de ma plume font écho aux fers à chevaux qui piaffent d'impatience au bas de ma fenêtre, ayant amené sagement des cadres de l'armée et du corps législatif qui m'accordent toute leur confiance. En ce matin anodin, tu te lèves probablement en pensant à Louis, Jacques, Guillaume, ou quel qu'ai pu être son nom; mais ce soir, ce soir du 18, tu ne pourras t'endormir sans entendre des torrents humains scander mon nom, le nom de celui qui leur a redonné espoir, dans chaque ruelle d'un Paris renouvelé.

Si, dans tes rêves les plus hardis, tu te surprends à croire que j'ai fait ça par jalousie, par amour, ou autre prétexte gravitant autour de toi, sois persuadée que, quelle que soit la réponse, ceci est arrivé grâce à moi.

12.3.09

Lara III

Finalement, j’en ai marre. Elle a beau être absolument superbe, je vais pas rentrer dans son petit jeu du « je te laisse faire la gueule sans rien dire » comme ça. Je me lève. Elle me suit du regard, dissimulant presque totalement son étonnement.

« Il me faut des cigarettes. Tu viens ? »

Et, comme par hasard, au moment où elle semble se lever, elle décide de lâcher le morceau. Ça lui vient d’un coup, sans prévenir, et ce devait forcément être au moment précis où je n’en avais plus envie:

« En fait… Je me suis levée ce matin en me disant que je ne voulais pas finir comme ce mec qui installe ses tables tous les matins. Je ne voulais pas finir comme ma belle-mère qui lit les mêmes chroniques du même journal depuis 30 ans. Je ne voulais pas finir comme ma grande sœur qui prend le même menu dans le même restaurant, tous les midis depuis deux ans. Ni comme ces imbéciles en classe préparatoire, en fac, en école, n'importe où, qui planifient tout de la même manière, jusqu’à ce que leur quotidien ne deviennent qu’un vaste emploi du temps consacré exclusivement au travail répétitif, réglé à la minute près, pour qu‘ils puissent ensuite combattre la peur de leur échec en se rassurant par le biais d‘un univers connu, maîtrisé et prévu -toujours le même. Et je ne voulais encore moins terminer comme tous ces gens, dans le métro, avec leurs mêmes expressions tellement… tellement… communes, vulgaires mélanges de fatigue, d’habitude et désarroi devant le fait qu’ils sachent exactement comme va se dérouler leur journée. J’ai 19 ans, et je voulais me persuader que je pouvais faire quelque chose de spontané, sans avoir à me demander quelles répercussions cela aurait sur le déroulement « habituel » de ma journée, sans avoir à me préoccuper des conséquences, quelles qu’elles soient. Sans avoir besoin d’un prétexte qui tienne la route aux yeux de mes parents. »

Silence. On dirait qu’elle est essoufflée d’avoir autant parlé. Pourtant, j’ai quand même un très fort doute qui subsiste. Merde, quoi, on frôle le désespoir classico-juvénile, là ! Elle est même passée terriblement près de la banalité qu’elle cherche -d’après ce que j’ai compris- à éviter.

C’est à ce moment là qu’elle et ses jambes infinies se retournent vers moi -plus je regarde ses jambes, moins Chloé me déteste.

« Regarde-moi ! Je suis jolie, je suis intelligente, j’ai de la répartie, je suis riche, j’ai un avenir qui s’annonce brillant, et pourtant jusqu’à ce matin, j’aurais été incapable de faire quoi que ce soit qui n’eût été prévu, utile et contrôlé par mes proches. Je… je suis le déterminisme social incarné ! »

Et forcément, il fallait que la terminologie sociologique vienne s’immiscer dans une confession qui diffère -enfin !- des habituels monologues plaintifs et sentimentaux que me réservent les adolescentes réglées -je tiens à dire aux demoiselles qui s'indignent à la lecture de ces lignes qu'il est biologiquement prouvé que vous êtes plus chiantes une fois par mois- de mon âge. Ne pourra-t-on jamais s’exprimer précisément d’une autre manière que par des expressions à la sonorité barbare ? Et encore, sur ce point, j’ai la chance de ne pas être allemand. Enfin, toujours est-il qu’elle s’est calmée, un tant soit peu. Quelques secondes passent sans qu’aucun d’entre nous prononce quoi que ce soit. En fait, je suis entrain de me demander si je lui dis. Elle risque de mal le prendre. Mais, après tout, on s’en fout, non ? Je lui dis:

« On flirte quand même avec le schéma classique de la jeune fille fuguant son avenir bourgeois. Plus banal et plus déjà-vu, tu crèves.

- La ferme. »

Je la regarde en souriant, alors qu’elle ne daigne me jeter qu’un coup d’œil de travers, que je trouve très bourgeois pour une jeune fille qui cherche à éviter de rentrer dans son moule social d’aristocrate moderne.

« Et puis, pourquoi est-ce que je t’ai raconté ça, moi ?

- Je ne sais pas, parce que t’es en manque affectif important ? Et puis, tu te dis que, sous prétexte que tu as mis une robe… légère, je vais me mettre à t’écouter attentivement et à t’approuver inconsciemment.

- Si jamais j’avais besoin de qui que ce soit, ce serait d’un mec sexy qui me prendrait dans ses bras et qui m’écouterait attentivement pour ensuite mieux me consoler, et sûrement pas d’un type mal rasé puant la clope et incapable d’avoir une parole réconfortante autre qu’une vanne bidon qu’il est le seul à trouver marrant. »

Je continue de lui sourire en la regardant dans les yeux. En voyant les premiers clients arrivant dans le café face à moi, reprenant les mêmes places qu’hier matin, j’en déduis qu’il doit être près de huit heures. Ça va faire quasiment une heure passée avec un mec qui ne fait pas attention à son physique, cynique et toxicomane; je lui trouve bien du courage. Et puis, comme je ne perds jamais le Nord, je laisse passer quelques minutes de duel implicite entre son regard bleu azur et mon regard de pseudo-camé, avant de lui demander ce qui me trotte dans la tête depuis qu‘on est sortis du métro. Et pourtant, plus je la regarde, plus ça devient étrange. Un jeu du « premier-qui-cille-a-perdu » n’est pas censé induire cette atmosphère; on entend de moins en moins le patron souhaiter la bonne journée à ses habitués. Je distingue, à moitié cachés par des cheveux d’un blond éclatant, quelques habitants faisant leurs courses avant que le marché de Saint-Denis ne soit submergé par une foule massive, comme tous les samedis matins, depuis sa création. Lara se mord doucement -et plus ou moins discrètement- la lèvre. La tension monte, nos yeux se dévorent réciproquement. Je n’en peux plus, il faut que livre ce que j’ai sur le cœur:

« Il me faut des cigarettes. »

Note pour la prochaine fois: bannir l‘usage de cette phrase dans des circonstances semblables parce que là, elle meurt d’envie de me tuer; et pourtant, mes lèvres ajoutent toutes seules, insolentes:

« On y va ? »

Staline, Mao, Pol Pot, protégez-moi des pulsions sanguinaires que je vois rugir au fond des ses yeux si bleus, et protégez-moi de ses dents éclatantes qui vont m’arracher la gorge. Au moins, elle a la confirmation que je suis vraiment comme elle me pensait: non seulement je suis con, mais en plus je suis égocentrique. Et je me plais comme ça; tant pis.

« Je suis sûr que tes jambes sont encore plus belles lorsque tu marches. »

Le désespoir m‘envahit: qu’est-ce que je n’irais pas dire pour une malheureuse dose de nicotine ! M’abaisser à complimenter une fille qui sait très bien qu’elle est superbe, mais en plus par le biais d’une banalité qui pourrait provenir de n’importe quelle racaille des environs. Il n’empêche que, aussi étrange que ça ait pu sonner dans ma bouche, elle a l’air d’apprécier; c’est donc -plus étrange encore- que ce genre de trucs marche. Et merde. Enfin, pour compléter le show, je la prends délicatement par la main, dans la plus pure tradition de la noblesse monarchique; elle se prend pour Grace Kelly, et -j’espère- dissimule très bien sa satisfaction. Et quoi qu’il en soit, j’ai réussi à avoir la fille et le tabac; la journée commence bien, fût-ce à Saint-Denis.

Il y a sûrement un vendeur de cigarettes quelque part. En face, ce sont des infinités de panneaux indiquant kebabs, alimentations générales et magasins de fringues pour jeunesse issue de milieux sociaux défavorisés (on les remarque aux inscriptions dorées en lettres gothiques imprimées au dos d'un polo blanc) qui envahissent ce qui me paraît être la rue commerçante de Saint-Denis. À droite s’ouvre la place du marché, laquelle débouche ensuite sur plusieurs petites rues piétonnes bétonnées dans le plus pur esprit fonctionnel des années 1980, où j’ai l’impression qu’on peut trouver tout, du moment que ce n’est pas légal. Malgré mon goût connu et prononcé pour l’aventure, je préfère miser sur la rue commerçante.

Le problème -encore un !- , c’est que, si Lara a accepté de me suivre, ce n’est pas pour autant qu’elle s’est décidée à faire la conversation. J’en ai marre, des filles qui sont aussi arrogantes que moi. Je veux dire, ça perd tout son sens, l’arrogance, dès lors qu’il n’y a pas autrui pour justement nous reprocher d’être arrogant. Ce que quelqu'un d'autre ne fait que lorsqu’il se sent mal de voir quelqu‘un se proclamer comme étant mieux que lui. Enfin, je me comprends.

Et pourtant, nous voilà, tous les deux, marchant à bonne distance l’un de l’autre, et se jetant des regards en biais dans la banlieue qui s’éveille au milieu d’une matinée qui fait contraster le gris des bâtiments et le bleu du ciel. Je suis sûr qu’on passe, aux yeux des passants, pour un jeune couple insouciant qui vient de s’engueuler. Certains imaginent que c’est moi qui l’ai blessée (Pourquoi les filles ne sont-elles pas supposées blesser les mecs ? Éternelle question, qui trouve probablement une réponse lors de chaque soirée bière entre mecs de la terre); d’autres se disent que l’un de nous deux est allé voir si l’herbe était plus verte ailleurs, mais qu’on se fait la gueule pour la forme: on est censés être innocents et tolérants, puisqu’on est jeunes. Ou alors, les rares personnes qui nous jettent un coup d’œil dans cette rue qui n’en finit pas ne pensent strictement à rien, au-delà de leurs préoccupations immédiates. J’ai la flemme d’imaginer ce à quoi ils pensent. Ce ne doit pas être très intéressant.

Marre de ce silence absurde, j’ai envie d’arriver jusqu’au bar-tabac. Oui, jusqu’au bar-tabac, parce que j’ai aussi envie d’un verre. Oui, il est à peine huit heures, ou sept heures, ou neuf heures, ou je n’en sais rien, mais j’ai envie d’un verre. C’est comme ça: concernant mes pulsions, je suis très scrupuleusement les conseils du grand Mr. Wilde.

J’accélère légèrement le pas, Lara accélère légèrement le pas; je fais de plus grandes enjambées, Lara fait de plus grandes enjambées; le vent se met à souffler -légèrement, lui aussi. Ce qui fait que sa robe tend à s’envoler de plus en plus haut le long de ses cuisses, que le tissu se met à épouser parfaitement une peau pour laquelle certaines de mes connaissances se damneraient (même si il est vrai que mes connaissances ne sont pas de bons exemples et qu’elles ne sauraient définir damner). Le ballet qui commence à voir le jour entre les tourbillons verts et les éclats blancs de ses cuisses, non content de supprimer toute liberté à mon imagination, commence à attiser terriblement ma curiosité. Je reprends le contrôle de mes yeux suffisamment longtemps pour voir que nous sommes bientôt arrivés, jusqu'à ce que je réalise que je dois vraiment avoir l'air d'un abruti, à marcher comme un forcené, la tête légèrement penchée, de travers, sans même regarder où je mets mes jambes -on s'en fiche, du moment que celles qui m'accompagnent continuent à valser. Je pourrais presque être dans un film de Gus van Sant, plan fixe sur ses jambes en constant déplacement, sans jamais s'éloigner du spectateur, qui cadre focalisé uniquement sur elles, de là où le genou naît d'une courbe lisse, brillante, autour de laquelle des pans de robe verte voltigent, accrochés au ciel, et jusqu'à l'entrelacs des bandes de tissus de son espadrille avec sa cheville, son pied et le sol gris. Derrière, Beethoven et une de ses sonates. Finalement, elles s'arrêtent devant une porte vitrée à double battants, au verre sale, maculé de traces de doigts négligents, et au contour de plastique vert. Elle ne touche pas à la poignée, elle veut que ce soit moi qui lui ouvre la porte.

Nous nous asseyons à une petite table noire, en plastique elle aussi, au fond du bar, pour éviter le non-dialogue des habitués avec leur demi et l'écran de télé centenaire qui diffuse inlassablement des courses de chevaux, et renouvelle à chaque fois espoirs, déceptions et abrutissement. À peine assis, je me relève pour demander des clopes à la ménagère de plus de cinquante ans qui subit son comptoir sale.

- Tu me prends un café en même temps ? demande-t-elle au passage, en regardant si sa robe verte est bien flotte bien autour de son bassin. Je la regarde deux secondes.

- Non.

- On t'a jamais appris à être galant ?

- On t'a jamais appris à être polie, et à demander s'il te plaît quand tu veux qu'on te rende un service ?

- Si. Prends-moi un café.

Je me retourne vers la vendeuses qui, elle aussi, a abandonné toute amabilité. Au retour, je commande un whisky on the rocks au bar, sans l'anglicisme, de peur devoir expliquer le lexique de son métier au serveur. Je me rassois et entreprend d'enlever le plastique qui me colle au doigts de mon paquet. Le serveur m'apporte un semblant de jus de pomme, sans glaçons à l'intérieur, et Lara me dit que je suis vraiment un con.

- Tu vas faire quoi ? Te lever et partir vaquer dans le ghetto de Paris en te prenant pour une jeune rebelle ? lui dis-je en risquant mes lèvres dans ce breuvage douteux.

- Pourquoi pas ?

- T'as vu les gueules des mecs qui nous entourent ?

Lesdits mecs font semblant de ne pas attendre qu'elle se lève pour commander son café, et le barman évite soigneusement de venir lui demander ce qu'elle veut; finalement, elle fait parader ses jambes jusqu'au comptoir, éclipsant les chevaux qui s'épuisent sur l'écran cathodique, et se rassoit, très digne, à ma table. J'hésite, le temps que son café, son sucre sans marque et son biscuit sous vide Speculoos arrivent, à lui demander ce qu'elle fait dans la vie. Ni elle ni moi nous regardons dans les yeux, et je fais mine d'inspecter chaque recoin du miroir contre lequel elle est adossée, alors qu'elle trouve un intérêt particulier aux pieds de la chaise de la table d'à côté, où un vieux, tout en charentaises et en moustaches, fait les mots croisés du même journal depuis qu'il sait lire.

- C'est quoi, ta passion ?

À défaut d'aveugler par son originalité, la question a -j'espère- le mérite de lancer une conversation, sauf si elle me répond qu'elle n'en a pas, ce sur quoi je parie intérieurement cent dollars.

- J'en ai pas, répond-elle. Je suis riche.

- Ma pauvre. T'as aucun intérêt, dans la vie ?

- Non. Et si j'en avais, je ne le partagerai pas avec toi.

J'en ai marre, de son arrogance. Presque autant que Zola en a marre d'être pris pour un putain de naturaliste.

- Attends, t'es une fille de moins de vingt ans. T'aimes sortir, te défoncer avec les antidépresseurs de ta mère et les sacs Vanessa Bruno, non ?

- Tu crois toujours que tu peux caser tout le monde dans des cases pré-étiquetées ? rétorque-t-elle avant que ses dents blanches - a-t-elle un seul défaut physique qui puisse la rendre hideusement banale ? - ne fassent craquer le biscuit marronâtre.

- Bien évidemment. Et quand j'y arrive pas, ou que mes interlocuteurs ne rentrent pas dans ces boîtes, je leur demande...

Je suis coupé par un réacteur si bruyant, au-dessus de nos têtes, qu'il détourne le regard hypnotisé des ivrognes solitaires du poste de télé alors que, de ce que je vois d'ici, la course est bien tôt finie. Je continue.

- … Je leur demande ce qu'ils aiment dans leur vie. D'où ma question principale, ma belle.

- C'était quoi, ce bruit ? lâche-t-elle après avoir effacé les rares gouttes de café égarées sur ses lèvres. Elle s'en fout complètement, et du bruit, et de ma question, et du café, mais je fais comme si de rien n'était.

- Probablement les Russes qui attaquent, dis-je en contemplant mon whisky dégueulasse qui, mine de rien, descend de plus en plus.

Elle sourit enfin, et je réitère ma question, pensant que j'aurais peut-être une réponse, pour une fois -je refuse de la quitter avant d'avoir eu autre chose qu'une confession abominablement bidon.

- J'aime qu'on me foute la paix.

Un ange passe, se moquant du désarroi que je tente de dissimuler. Elle fait tourner sa tasse de café du bout de son doigt, et le serveur est tout de même revenu savoir si la demoiselle ne veut rien de plus et qu'elle l'appelle si jamais elle change d'avis. J'en ai un peu marre.

- Écoute, on va faire un deal, dis-je au bout de cinq minutes d'un silence entrecoupé de résultats de courses hippiques. Elle lève un sourcil dubitatif, mais ne me demande pas de la fermer.

- T'arrêtes ton comportement aristocratico-dédaigneux, et je t'offre ton café.

Vu le regard que ses yeux me lancent, elle est pas près de changer d'attitude.

- Tu sais, chéri, j'ai de quoi me le payer, ton café.

- Et la beauté du geste ?

Elle rit.

- Je m'en fous, rétorque-t-elle en triturant le portable qui trône sur la table.

- Dommage.

Dans le miroir, le reflet du serveur discutant avec un vieux continue de la mater.

- Je vais fumer une clope, dis-je en me levant. Je ne me retourne pas immédiatement vers la sortie, et reste face à elle en fouillant mes poches pour trouver un briquet.

- Donne-m'en une, finit-elle par lâcher.

- Tu fumes, toi ? Ta maman ne t'a pas dit que c'était mauvais pour la santé ? dis-je en souriant, et en jetant une cigarette sur la table. Elle me suit jusqu'à la porte du bar; dehors, le soleil est déjà haut et les rues déjà pleines. Il doit être neuf heures, et les mamas africaines se dirigent toutes vers le marché pourri de la place principale, où se dressent trois petits stands de fruits et légumes. Alors que j'allume ma cigarette, juste avant de lui tendre un briquet à la flamme hésitante, le bruit assourdissant recommence et nous levons tous la tête pour essayer d'apercevoir l'engin qui fait ce vacarme, mais les immeubles sont trop hauts pour nous laisser avoir un champ de vision décent.

Elle tire une fois, deux fois sur sa clope et s'éloigne de quelques pas pour se poster devant une affiche de festival de raï, qui doit sûrement être très intéressante.

- Tu sais, Lara, t'es pas obligée de faire semblant d'être absorbée par un truc auquel tu n'iras jamais pour éviter de me parler.

Ses lèvres s'entrouvrent, probablement pour me répondre que je suis un con, et que si elle avait pas envie de me parler, elle chercherait pas de stratagèmes de gamine de douze ans, etc. Pourtant, c'est un cri qui s'en échappe, alors qu'une bombe vient d'éclore au bout de la rue, rouge, jaune et orange entre les immeubles gris. Une seconde s'abat, plus près de nous, et la troisième va jusqu'à projeter des débris d'un pavé installé consciencieusement par la municipalité à travers sa robe verte. En un instant, tout n'est plus que cris et poussière, tandis que les explosions se font écho les unes aux autres, tandis que je me précipite à l'intérieur du bar -la porte qui ne se referme pas derrière moi m'indique qu'elle a soit été emportée par le souffle annihilant des ogives semées au hasard dans ce ciel matinal, soit que Lara m'a suivi. La lampe branlante qui s'abat sur ma tempe ne me laisse pas le temps de confirmer une des hypothèses.

Ma vue se brouille, alors que je réalise que les Russes attaquent vraiment Saint-Denis.

1.3.09

Lara II

Le métro arrive, je vais penser à autre chose. Alors que la masse se précipite dans les rames en ne laissant que la moitié des passagers descendre tranquillement, je monte en dernier, pendant que les sirènes de Londres indiquent la fermeture imminente des portes et conseillent aux passagers de se tenir éloignés de ces dernières, afin de ne pas s'y coincer les doigts.

Il y a une jolie fille, pas loin de moi, qui a quelque chose de familier. Je croise son regard, et là, -ô joie, ô surprise !- elle le soutient, pendant ce qui me semble être une éternité mais qui n’a sûrement duré qu’une volée de secondes. Enfin quelqu’un qui soit esthétiquement agréable et qui assume de se faire mater par des mecs le matin dans le métro -et puis, n’abusons pas, je ne suis pas si laid que ça. Elle porte une robe verte, une très jolie et très seyante robe verte qui va très bien avec ses long cheveux blonds. Et lesdits cheveux dorés font ressortir ses yeux bleus (oui, je sais, j’aime les blondes aux yeux bleus, je n’ai aucune originalité, etc.), tout en accentuant parfaitement les traits délicats de son visage, ses lèvres d'un rose étonnement pâle, son nez discret.

En fait, elle n’est pas jolie, elle est absolument époustouflante. Et, tout d‘un coup, ça me vient à l'esprit, en prévenant encore moins qu'une pensée ordinaire: Lara. Elle doit s‘appeler Lara, c‘est sûr et certain.

Il va pourtant falloir que je trouve quelque chose pour faire comme si je n’étais pas du tout intéressé par cette créature angélique, et éviter de passer pour un obsédé…

« Chloé me déteste ». Non, encore autre chose.

Trouvé: il doit y avoir Doctor Sax dans mon sac. Je le sors, et après avoir trouvé une place sur un strapontin pourri qui ait pourtant l'immense mérite de me permette de garder un contact visuel, je commence subtilement à alterner entre l’écriture de Kerouac et les yeux de Lara, entre l’enfance de Duluoz et les lèvres de Lara, entre les nuits de Sax et le décolleté de Lara -lequel oscille dangereusement entre l’élégance et l’indécence. Le jeu des passagers embarquant et débarquant nous rapproche de manière purement hasardeuse l’un de l’autre. Mon regard est alors happé par quelque chose de scandaleux, d’absolument intolérable. Sa robe s'évanouit subtilement au niveau de sa cuisse pour céder la place à une paire de jambes qui aurait immédiatement fait douter Pascal, Descartes, Kant & Co. quand à l’apparence de Dieu. Ce n’est pas possible, une fille aussi belle n’existe pas, même si, vu le nombre de types qui la matent allègrement, elle existe bel et bien pour pas mal d’entre eux. Mais -et là encore, ô joie, ô surprise !-, elle ne regarde que moi. Ou peut être un mec derrière moi, mais j’ai foutrement l’impression que ce sont mes yeux qui la captivent, heureusement que je me suis rasé ce matin. Enfin, pendant qu’elle semble absorbée par son téléphone portable, j’ai quand même droit à quelque subtils et très vifs coup d’oeils, l’air de dire: « Tiens, t’as l’air pas mal, toi, mais comme je suis pas une grosse pouffe aguicheuse, je ne vais quand même pas te fixer ostensiblement ».

Je ne sais pas combien de temps dure ce petit jeu, mais j’ai quand même eu le temps de m’enfiler l’intégralité du Piper At The Gates Of Dawn.

Et puis, d’un coup, elle se lève et sort du métro. J’ai à peine le temps de la suivre. Je ne sais pas où je suis, mais ça tombe bien, j’ai envie d’une clope. Je suis Lara sans savoir où elle va, mais du moment que ses jambes me guident, j’irai jusqu’au bout du monde. Finalement, une sortie est en vue; j’accélère alors le pas, histoire de me mettre juste derrière mon inconnue. Sur l’escalator, je sors mon paquet, encore plus froissé que la dernière fois que je l'ai amputé d'une cigarette. J’ai de la chance, il m’en reste une, mais, étrangement, je ne retrouve pas mon briquet.

Nous sommes à l’air libre, et à Saint-Denis, par la même occasion. Je prends mon courage à deux mains, me persuade qu’elle ne va pas me manger et effleure son bras dénudé.

« Excuse-moi, tu aurais un briquet ? »

Elle se retient de sourire. Salope, si tu savais à quel point c’est dur d’aborder une inconnue aussi bien foutue que toi.

« Oui, bien sûr, attends, répond-elle alors que ses doigts fouillent dans son sac à main. Elle la voix d’une fille qui devrait s’appeler Lara. J’en profite pour enchaîner:

« Et tu t’appelles comment ? »

Les doigts arrêtent de fouiller.

« Excuse-moi ? » Ma superbe blonde est entrain de se dire que le mec mignon (?) du métro n’est qu’un dragueur minable.

« J’ai une admiration sans bornes pour les jeunes filles qui se promènent dans le métro en robe légère. Jusqu’à Saint-Denis, qui plus est. »

Les doigts se remettent à fouiller. Elle tente un sourire timide et me tend un briquet rose clair avec des chatons dessus. Personne n’est parfait, me dis-je en allumant ma cigarette.

J'aspire consciencieusement une dose de nicotine, totalement focalisé sur mon apparence -je ressemble assez à Bogart ?

« Et donc, tu t’appelles comment ?

- Tu ne m’as pas dit merci, pour le briquet.

- Merci profondément, sans ton aide providentielle, j’étais foutu. Connaître ton prénom serait encore plus gratifiant, lui dis-je avec le plus sincère des sourires.

- Peut-être bien. Et toi, c’est comment ?

- C’est moi qui ai posé la question en premier.

- C’est faux.

- Peut-être qu’avec des jambes comme les tiennes, tu rencontres peu de mecs qui te disent ça mais, le fait est là: c'est moi qui ai raison, pas toi.

- Les jolies filles ont toujours raison. »

Pause. Je croyais être le seul à connaître cette ligne. Et voilà que débarque allègrement une blonde -et ses jambes insolentes- qui semble avoir une parfaite connaissance de la psychologie de Lucy. Ce que je réalise à peine, là, tout de suite, c’est que je viens de tomber sur une demoiselle, jeune et jolie, qui a les même valeurs que moi, et qui ne le sait pas. Le flux temporel vient d'avoir un hoquet, rien qu‘à cause d‘une petite citation de rien du tout parue dans un journal du Sud américain dans les années 60... Et pourtant, Chloé me déteste toujours.

« Arrête de plagier les Peanuts.

- Je pensais pas que tu connaitrais. Tu me dis ton nom ? »

Je tire une autre longue bouffée.

« Je t’intéresse tant que ça ?

- Il est six heures à Saint-Denis, tu veux que j’aille parler à qui ? Au patron du PMU ?

- Même si j'ai envie de dire que ce doit sûrement être un individu riche et profondément humain, tu marques un point. » Elle ne rit pas à mon ironie, supposée être irrésistible.

Alors que je commence à marcher vers la basilique, Lara me suit, je ne sais pas pourquoi -un sentiment génial de satisfaction s‘empare de tout mon être: égoïsme basique, je sais, mais qu’y puis-je ?

« Et si je te demande ce que tu fais ici, j'aurais droit à une réponse ?

- Disons que j‘avais une envie compulsive de prendre le métro tôt le matin.

- Et tu viens d’où ?

- Ça, tu ne le saura pas non plus.

- OK.

- Je te trouve bien curieux, d’ailleurs. Ta mère ne t'a jamais appris à ne pas embêter les jeunes filles ?

- Que veux-tu ? Il est six heures et on est à Saint-Denis. »

Elle sourit discrètement, et je regarde mes pieds, puis le soleil qui s'étire derrière l'unique clocher de la basilique asymétrique, pour éviter de lui sourire à mon tour, témoin insupportable d'une illusoire complicité.

« Bien joué.

- Je sais.

Un temps passe. Ainsi qu'une mère de famille africaine avec une demi-douzaine de baguettes étouffant sous son bras.

- Orgueilleux et curieux. Tout ce que je déteste.

- Dans ce cas, on n’est pas fait pour s’entendre. »

Il y a des bancs devant la basilique. Je m’assieds, je contemple avec pitié ce qui me reste de ma clope puis je jette un regard interrogateur à Lara qui est restée debout. Elle semble hésiter, et opte finalement pour le banc, même si elle reste quand même bien loin de moi. Je finis ma cigarette, relève la tête et lui demande:

« T’as déjà visité la basilique ?

- Non, jamais. Qu’est-ce qu’elle a de spécial ?

- La quasi-totalité des Rois de France y sont enterrés.

- Si c’est pas génial, ça.

- Ouais, on ira visiter ?

- Peut-être.

- Le respect des ancêtres est très important, paraît-il (Dieu ce que c’est nul, comme réplique).

- Sûrement, sauf que je viens pas de France…

le doute, présent implicitement depuis le début, devient de plus en plus présent. Ne me dis pas que tu es russe, Lara, ne me dis pas que tu es russe…

- Je suis russe. Et je ne sais même pas où son enterrés les tsars.

Et merde. On s'en contrefout, des tombes d'une dizaine de despotes consanguins qui ont régné il y a plus d'un siècle. Mais elle est effectivement russe. Qu’est-ce que je peux répondre à ça ? C’est carrément de la provocation, une jeune fille blonde qui virevolte dans la neige en buvant de la vodka et savourant coupelles dorées de caviar sur coupelles dorées. Mais bon, j’essaie quand même, sans trop tomber du ah-t’es-bonne-parce-que-t’es russe et autres ouais-c’est-cool-le-communisme:

- Ceci explique cela. »

Elle me jette alors un regard qui dit me transmet explicitement son point de vue: tu es le roi des cons, et je ne sais pas ce que je fous ici.

« Vous êtes tous pareils, les mecs. Dès que je dis que je suis russe, vos yeux s’allument.

- Je suis pas comme les autres mecs.

- Ils disent tous ça.

- Et vous dites toutes ça.

- Nan. »

Stop. Elle n’a pas dit « non », elle a dit « nan ». Et c’est une des choses les plus érotiques que j’ai entendu depuis très longtemps (Kiss me as if it were the last time, disait Ingrid). Il va falloir que je me calme très vite, même si sa robe ne m’aide définitivement pas.

« Bon, sortons du registre du flirt ringard. Dis-moi ce que tu fais ici.

- Nan. »

Mais comment peut-on arriver à établir une conversation normale avec une fille aussi belle qu’elle ? Je veux dire, il suffit qu’elle ne dise qu’un mot pour que j’ai envie séparer son corps de ses vêtements, de profaner chacune des tombes enterrées à quelques mètres d'ici, de faire ce que Jim Morrisson ne pouvait pas, tant que c’est elle qui me l’ordonne. Le pire, c’est qu’entre ses lèvres qui susurrent un « nan » et mon ego, je choisis les lèvres; elle laisse durer le « n » si longtemps, la langue à moitié tirée entre les dents -une petite langue rose et délicate-, que quand arrive le « -an », bref, montant immédiatement dans les aigus, ses yeux se plissent, se mettent à briller, et ma raison à hurler de terreur.

« Chloé me déteste ? Nan. »

Il va falloir que j'arrête d'être obsédé par les mimiques ridicules de jolies filles. Si je commence à tomber dans la contemplation passive d’une beauté qui n’existe que par l’intermédiaire de maquillage et de décolletés outrageants alors que je ne suis pas encore marié, c'est mal parti. Cette fille est vraiment malsaine: elle arrive à me faire divaguer à partir d‘un seul mot qu‘elle prononce, moi, celui qu’on appelle « l’homme qui ne pense qu’à lui ». Enfin.

Je me calme, je me concentre.

Repartons sur des bases plus réelles, et fuyons l'esthétique inexplicable. Il est inconcevable que je renonce à connaître la (ou les) raisons qui ont poussé une des plus jolies filles de Paris à aller à Saint-Denis un samedi matin: je suis bien trop têtu pour ça. Dans cette optique, j'enchaîne en faisant comme si c'était la première fois que je lui posais cette question.

« Si tu me dis ce que tu fais ici, je te dirais ce que moi je fais là.

- Mais ça, je m’en fous complètement, laisse-t-elle échapper en regardant quelque part près de mon genou.

Et merde. Il faut que je me rattrape.

- Dommage, ça impliquait la mafia locale, le zoo de Melbourne et le deal d'ornythorinques de l’année.

Elle me dévisage à peine, même si ses yeux semblent désormais être posés sur ma main -sale, qui pue le tabac froid.

- Arrête, t’es pathétique.

Soyons beaux joueurs, et accordons-lui qu'il y a effectivement de quoi faire en matière de ridicule.

- Ouais, je sais, c’est pas comme si j’étais une jeune fille qui, sous prétexte qu’elle a ses règles, refuse de répondre à une question innocente d’un inconnu qu’elle connaît depuis à peine une demi-heure.

- J’ai pas mes règles ! Crie-t-elle presque. »

Touchée. J’arrive enfin à la faire réagir autrement que par le dédain ou par des coups d’œil qu’elle pense être furtifs Même si le côté aguicheur de ces derniers sont apparemment restés sous terre.

« Alors tu n’as pas de raison de ne pas me le dire.

- Peut-être pas, non. Mais si je refuse de dire quoi que ce soit, on va continuer à se regarder en chiens de faïence, et c’est toi qui cèdera le premier.

- N’essaie pas, ça risque de durer plus longtemps que tu ne le crois. Et Saint-Denis n’est pas connu pour son ambiance nocturne bon enfant.

- Vous êtes tous pareils, à sous-estimer la volonté des femmes. »

À noter qu’elle n’a pas dit « filles », même si la demoiselle assise à côté de moi semble à peine dépasser les dix-huit ans.

« Écoute, on va faire un deal…

Son hochement de tête qui fait écho à un son inarticulé du fond de sa gorge m'invite à poursuivre.

- Je te laisse garder le silence quant à la raison de ton excursion matinale, et tu renonces à ton discours féministe -qui, par la même occasion, m’associe à la masse compacte de tous les autres hommes que tu aies connus, quoi que je fasse. OK ?

- Si ça peut te faire plaisir.

- Tu n’imagines pas à quel point. »

Elle se tait. Je cherche désespérément une autre cigarette. Que je ne trouve, pas, en dépit d’un examen approfondi de chacune de chacune de mes poches.

Le café d’à côté s’allume, le patron commence à sortir les tables de la terrasse, les unes après les autres et les dispose consciencieusement devant son établissement. C’est impressionnant de voir à quel point il effectue son travail avec application, même si ça doit faire une éternité qu’il le fait. Il paraît que la routine rassure la plupart des individus de notre société; le quotidien les empêche de s’inquiéter. Les tables, d’abord, placées géométriquement. Puis les chaises, qu’il porte deux par deux, et qu’il dispose auprès de chaque table, une de chaque côté, légèrement rapprochées pour que les clients puissent tous les deux avoir une vue sur la basilique. Ensuite, les parasols, pour que la vue en question ne soit pas gâchée par un soleil trop fort. Il amène alors les cendriers, un toutes les deux tables, législation oblige. Une fois son labeur accompli, il prend une petite pause pour contempler son œuvre, aussi impeccable qu’hier matin. Et qu’avant-hier. Et ainsi de suite. On sentirait presque la satisfaction qu’il retire de ne pas succomber au changement. Je me demande si il n’a jamais envisagé de faire trois rangées de quatre tables, au lieu de quatre rangées de trois tables. Mais ce n’est sûrement pas le cas; au-delà de son propre malaise, il désorienterait alors complètement ses habitués aux quatre rangées de trois tables. Le client est roi, même si il est con.

Lara ne parle toujours pas. Elle aussi observe le patron du café. Est-ce qu’elle aussi a remarqué sa fierté d’avoir tout fait bien comme il faut ? Je demande.

« Ce mec est l’exemple même du concept de régularité et d’assiduité quotidienne.

- C’est triste. Et pourtant, il a l’air heureux. Je veux dire, je trouve ça triste.

- C’est pire. Quand on commence à se complaire en territoire connu et maîtrisé, on entame alors une irrésistible décadence.

- Pas forcément irrésistible. On peut se sortir du quotidien, même si ça demande plus d’efforts avec le temps.

- Ouais, comme toi. »

Son visage se retourne vers moi, entraînant avec lui ses cheveux blonds dans un mouvement digne d’une pub pour shampooing hollywoodien.

« Tu viens de dire quoi ? Lâche-t-elle après un temps d’hésitation.

- Le fait que je te laisse la possibilité de ne pas me dire ce que tu fais là ne veut pas dire que je ne vais pas essayer de deviner. »

Son visage se referme immédiatement, mais ne se retourne pas pour autant. Le patron satisfait se sert un café. J’enchaîne de la manière la plus naturelle du monde:

« Tu es là parce que tu t’ennuies. »

Un soupir de mépris s’échappe de ses si jolies lèvres.

« Et toi, tu penses évidemment que je suis un gosse de riche qui a trop de temps à revendre alors il tente l’aventure dans le métro un samedi matin en espérant trouver une inspiration romantique -au sens littéraire du terme- et finit par psychanalyser une inconnue ? »

Pas un mot.

« Si ça te fait plaisir de continuer à le penser, je ne vais pas t’en empêcher, ma grande. Et pour ce qui est de la psychanalyse, c‘est pas faux.»

Toujours pas un mot, mais au moment où elle entend « ma grande », ses yeux me transpercent; comme quoi, elles sont toutes les mêmes. Mais je me tais, en attendant que ça vienne. Parce que ça viendra, ça vient toujours: les gens sont trop isolés pour refuser une occasion de se plaindre et de se confier. Et puis, j’ai tout mon temps; le soleil illumine de plus en plus la cathédrale.