14.5.10

combattre, fuir ou subir.

ça fait longtemps que j'avais pas eu autant d'adresses manuscrites dans ma boîte aux lettres. je crois que je n'en ai jamais eu autant, d'ailleurs. quand j'en trouve, elles sont généralement seules, ou elles ne sont pas pour moi. en même temps, maintenant, on est deux, c'est normal qu'il y en ait plus libellées à mon nom, même si elles ne me concernent pas. même hier, il n'y en avait pas autant. et j'espère qu'il n'y en aura pas autant demain. dans l'ascenseur, les mains remplies de gens concernés par ce qui m'arrive, j'ai l'impression d'être vachement important, pour une fois que je décachetterai chaque enveloppe en sachant que j'y trouverai autre chose qu'un relevé bancaire, qu'une quittance de loyer, ou qu'un prospectus pour un séminaire au titre maladroitement anglophone. mon chez-nous est toujours là, et le bruit de l'air conditionné est bien trop présent pour qu'il y ait quelqu'un d'autre que moi. j'appelle quand même son prénom, histoire de ne pas me faire engueuler si elle est là. effectivement, personne. elle doit être chez christine, encore. ou peut-être est-elle restée au bureau, se droguant aux plans communication pour l'inauguration d'un énième centre r&d dans la région. le médecin lui a pourtant de ne pas trop en faire, de voir un spécialiste, ou à la rigueur, de passer plus de temps avec moi.
je pose ma sacoche sur une chaise, et je m'asseois proprement sur le canapé, face à la baie vitrée. tallahassee ne me regarde pas, mais je ne m'en formalise pas, puisque tallahassee n'a pas regardé qui que ce soit depuis bien longtemps. ville de merde.
alors, ouais, j'ouvre les enveloppes, même si je sais déjà ce qu'il y a déjà dedans. un petit papier carré. parfois avec un joli en-tête d'une société à succès. quelques mots, griffonnés sans qu'on y fasse vraiment attention. ils me disent qu'ils sont désolés pour nous. que ça doit être très dur. qu'ils sont tous avec nous, par la pensée. qu'ils ont hâte qu'on rentre en france pour qu'on se voie, et qu'on ne doit surtout pas hésiter à les appeler, si le besoin s'en fait, ils seront toujours là. ils m'assurent qu'on s'en remet, même si c'est dur. ils comprennent bien la douleur de l'épreuve qu'on traverse.
ils comprennent peut-être ce qu'elle a traversé. c'est elle qui a perdu, le bébé, et qui a entendu le petit bruit que fit le foetus quand on l'a jeté dans la poubelle aseptisée. c'est elle qui a du me subir, moi, en réanimation, complètement à côté de la plaque, inconscient de ce qu'elle a vécu, cette chère c., essayant de lui remonter le moral. alors, oui, c'est sûrement terrible pour la petite fille qu'elle est encore, et qui a passé des nuits à me parler de cet enfant. elle avait acheté tout le mobilier nécessaire, elle rentrait plus tôt du boulot pour lire avec avidité des pavés sur la maternité. mais ce n'est pas du tout mon épreuve à moi.
ce n'est pas ma peine à moi, ce ne sont pas mes amis à moi, ce n'est pas ma ville à moi, ce n'est pas à moi qu'il faut présenter ses sincères condoléances. ce n'est pas ma vie à moi. je n'ai jamais eu envie de ce boulot, de ce quotidien, de ce canapé ou de cette vue. je n'ai pas vraiment voulu de cette femme, non plus. je la trouvais jolie, quand elle passait ses oraux, juste avant moi. et puis elle avait l'air complètement innocente. une sorte d'apparition immaculée, étrangère à tout ce qui avait pu traverser ma vie. maintenant, elle pleure tous les matins.
j'en ai rien à foutre, de votre peine partagée et de vos sincères condoléances. pour moi, c'est pas ça, une épreuve, c'est quelque chose qui nous prend vraiment tout l'espoir du monde, avec de la pluie, de la boue, des battements de coeur qu'on oublie et des frissons qui ne s'arrêtent jamais. les épreuves que j'imaginais, ce n'était pas le mauvais développement d'un embryon dans une ville côtière de floride. je ne sais pas ce que je voulais. des pistolets-laser, des trains qui déraillent, des orages artificiels et des robots-guerriers qui perdent le contrôle, mais pas de devoir mettre mon bras autour d'un corps dont je n'aime même plus l'odeur.

j'aurais pas du me marier avec la jolie blonde qui avait toujours le nez sur sa copie, pendant les partiels.

10.5.10

en cas de coup dur, je me casse.

ça n'était pas une coïncidence, ça n'était pas possible. ça n'était pas non plus orchestré par une sorte d'être divin/supérieur/architecte qui me se complaît à me voir danser dans la paume de sa main, c'était juste beaucoup trop prévisible et bien trop évident pour que je passe autant à côté.

la première de mes erreurs fut le billet de transilien qui partait avec le soleil, côte-à-côte depuis l'aube jusqu'à La Madeleine de je-ne-sais-plus-quoi. le réveil fut des plus ardus, un de ceux qui te donnent l'impression d'avoir à peine somnolé dans un bain de crasse, tant le gin tonic s'est substitué à ta transpiration. j'ai à peine eu le temps d'enfiler les mêmes fringues que la veille, de descendre deux litres d'eau et de balayer mes dents avec du mauvais dentifrice avant de trottiner faiblement jusqu'à la gare, ployant sous le poids de ma gueule. pas de douche, pas de rédemption. le bus tanguait terriblement, et même en me prenant pour un des capitaines courageux, je me retenais plus à l'ourlet de la toge de dieu qu'à ces poignées en plastique qui se balançaient devant mes lentilles desséchées. la gare était à l'image de ma boîte crânienne, grise, résonnante, et peu accueillante. checkpoint une fois assis dans le train. il y a toujours 0-0, mais le monde extérieur prend très clairement l'avantage. je règle mon ipod sur 'bass reducer' et laisse la main à pink floyd, parce que echoes est le plus easy listening qui soit et que je dois pas m'endormir sous peine de me retrouver à outreau, terminus, tout le monde descend.
cette journée va être bien trop intense pour mon état physique, chaque parcelle de mon corps va payer le prix fort d'arriver encore bourré à cette réunion de famille à deux balles. pourquoi les vieux ont-ils toujours besoin de créer des arbres généalogiques sur myheritage.com ? que les pères de famille soient contents de pouvoir se la coller sec dans une grande maison de campagne, sous le nez de sa femme et cautionné par les retrouvailles familiales, soit; mais, pour l'amour de dieu, épargnez les enfants (et, plus généralement, les jeunes qui ont un début de gueule de bois terrible). et les enfants. les enfants vont être tellement chiants. quand ils courent, au loin, en levant les bras et dodelinant du cul, c'est plutôt rigolo, je dois avouer. et puis le soleil aurait pu réchauffer petit à petit mon troisième ti punch pendant que tout le monde m'aurait foutu la paix, seul sur mon hamac comme je suis seul dans ce train. sauf que non. les enfants voudront me grimper dessus et savoir pourquoi est-ce que je fume. et qui c'est le bonhomme sur mon t-shirt. et pourquoi j'ai les cheveux longs. et pourquoi je viens pas jouer avec eux à la balancoire. seigneur, faites qu'il y ait. oh merde.
le train ne freine pas, mais c'est tout comme, l'évidence vient de se foutre sur la voie ferrée sans sommation aucune. il y aura. pour s'occuper des gamins, forcément. les hôtes la paient tellement bien quand elle vient à paris que, pour un déplacement surtaxé, l'appât du gain l'aura forcément poussé à venir baby-sitter quinze rejetons surexcités. on m'avait spécifié qu'il y en aurait une. ça ne peut être qu'elle. elle m'avait dit qu'elle l'avait déjà fait, ce genre de baby-sitting à la journée pour des réunions de grandes personnes, ce alors que j'effleurais sa main quelque part sous une église baroque (d'ailleurs, ce n'est pas une église baroque, mais le méfait d'une tendance début-du-siècle à relancer la mode baroque pour les nouveaux édifices religieux). elle sera là, forcément, c'est leur baby-sitter attitrée, c'est logique.
qu'est-ce que je vais bien pouvoir lui dire ? n'importe quel ressortissant du champ lexical de l'excuse lui donnera l'envie de m'étrangler avec ses si jolis petits doigts. pas la force de penser à quoi que ce soit d'autre. est-ce qu'on a déjà dit "salut, tu vas bien ?" à une guillotine ?
ça y est, je me traîne hors du train et remet pink floyd dans ma poche pour me jeter dans les bras de ma grande et aimante famille. avec un sourire ravi, si je veux un chèque pour noël. je ne suis même pas tendu, pour le trajet en voiture, que je suis incapable d'être en pleine descente de je-ne-sais-plus-bien-quoi (des truffes ?) ET tendu en même temps, quand bien même les jolis yeux d'une jeune fille seraient en jeu. je quitte mon enveloppe charnelle en plein dysfonctionnement pour n'être plus que pure idée, Fatalité fatiguée. qu'est-ce que je viens bien pouvoir lui dire ? à quoi est-ce que je vais bien pouvoir ressembler quand elle lèvera ses sourcils en me voyant atterrir ? "tiens, voilà au moins les vingt balles que je te dois, c'est déjà ça, non ?". ce serait amusant, mais non, pas en prenant en compte le fait qu'on sera à moins de cent mètres l'un de l'autre pendant huit heures.
l'air pur de la campagne me fouette le visage quand je me hisse hors de cette bagnole nouveau-riche, et j'ai de la peine à avancer -aussi parce que je n'ai pas fait mes lacets. si je me penche, je vomis. ses yeux brillaient tellement la dernière fois qu'elle a passé le palier de sa porte que je préfère éviter qu'elle rencontre aussi ma bile. il faut que je trouve une excuse pour ne pas l'avoir rappelée, autre que ma terreur de la revoir après cette nuit. sorryphonedeadlol. ou une excuse pour les atroces banalités que j'ai tapées sur un mail timide parce que je pensais alors que c'était cool d'être pété en écrivant à une jeune fille cultivée et de bonne famille.
c'est sa voix que j'ai entendu en premier, c'est sa voix, qui résonnait sur le carrelage de la pièce d'à-côté. sa voix qui avait enveloppé mon monde pendant une nuit, sans même qu'elle ait à enlever son soutien-gorges. celle qui avait enfin donné une définition de l'espoir dans son "tu m'écriras ?" d'adieu. et un peu celle de ma boite vocale où elle fait mine de prendre bêtement de mes nouvelles, sans que j'ai eu la force de décrocher. là, tout de suite, dans la dure réalité qui s'acharne contre ma volonté à coups de cordes vocales d'étudiante en école de commerce, je n'ai pas non plus la force. mais un grand-oncle que je n'ai jamais vu me pousse à l'intérieur, du bout de sa canne, comme dans un ring où je fixe mes chaussures, et où j'ai presque envie de refaire ces lacets plutôt que de croiser ses yeux bleus (quelle genre de meuf a les yeux bleus, de nos jours, à part les blondes sur myspace et les supporting characters des films de sundance ?).
raté. elle les lève au moment où je perds le contrôle des miens. le temps ne se fige pas, les mouches ne cessent pas de vrombir, ce moment ne semble pas durer des heures, il dure VRAIMENT le temps d'une vie. on aurait presque pu fonder une famille et avoir des petits-enfants. j'exagère. mais on aurait facilement pu épeler le mot awkward une demi-douzaine de fois. elle a souri. j'ai tendu les muscles de mes lèvres en retour et j'ai contourné le canapé par l'autre côté pour chercher un verre d'eau et un havre de paix. elle est là, elle est réelle, qu'est-ce que je fais, putain !? un autre verre d'eau. un autre. putain, ce verre est un verre à pinte volé dans un pub, c'est de l'acharnement thérapeutique, là. je peux jouer la carte du type qui savait qu'elle viendrait là et qui ne veut la voir qu'en vrai. faux. j'envoie des lettres à tout le monde sauf à elle. je suis plus crédible, je suis à découvert, en plein terrain miné, je vais finir avec des bleus partout.
une tante me prend par le bras et me ramène me présenter à ses consanguins dans le ring. digne, tant bien que sale, je me plante dos à la plus jolie de toutes pour faire connaissance de louison, qui a bien connu mon grand-père, et qui est content de voir tout ce beau monde parce que c'est la jeune génération qui compte. je dis oui, je prends l'air impliqué dans son bullshit sénile, et mes yeux perdent le focus de son double menton. focus sur la table de droite. focus sur une sorte de robot inanimé sur la cheminée. focus sur le miroir derrière louison et, à travers le miroir, focus dans des yeux bleus de fille de mes rêves qui brûlent mon échine comme ces enfants en larmes qu'on croise dans la rue et comme ces jeunes hommes tout seuls qui regardent les filles danser en boite de nuit et comme ce mec avec une cravate rose et les cheveux en brosse qui admire la lumière d'automne dans les marronniers de la municipalité, et comme ces mères qui soupirent au téléphone dans la queue du super-marché, et comme ces vendeuses de vêtements moches qui essaient de s'asseoir sans que leur boss ne les voit et comme ces chiens qui courent derrière des sacs plastiques blancs sans jamais s'arrêter et comme ces clochards qui te parlent poliment et comme ces avions qui arrivent à l'heure et comme ces chansons qui ne te déçoivent jamais, comme ces lèvres qui se fichent dans ta paume. focus sur le monde et son contraire, sur tout son amour, sa tristesse, sa merde et sa fatigue. alors je dis oui, je dis bien sûr et je dis quand vous voudrez, au contraire, ça me fait plaisir, oncle louison, et quand tu veux, toi aussi, délicieuse petite a. à qui je n'aurais jamais le courage de donner une réalité, de dire bonjour et d'écrire cette lettre que tu mérites mille fois plus que les autres.


et puis, après tout, on ne s'est vus qu'une fois, j'étais pas bien, je suis parti chercher du doliprane, et ne suis jamais revenu. j'avais un peu peur que tu t'échappes du miroir.