12.2.10

prends l'avion et écrase-toi.

ma façon à moi d'organiser un voyage, c'est de voir des films. enfin, dans l'immédiat, organiser mon année, c'est demander à wong kar-wai de me vendre du rêve sur le mur blanc surplombant mon lit, et qui sert désormais plus comme toile de cinéma que comme mur porteur.
je ne suis jamais parti seul, dans une ville inconnue -on se comprend quand je dis ville inconnue, ça implique un peu d'exotisme, clermont-ferrand n'est pas shanghaï. les mecs qui te vendent le concept de winner dans des bouquins de papier glacé devraient préconiser ça, le voyage, pour remettre leurs pigeons en question.
départ d'orly, 06:28, ta mère en larme et ton frère qui essaie de s'en foutre, et t'es obligé de sourire, plus pour toi que pour eux. la cale de l'airbus a bouffé tes trois valises, les hauts-parleurs donnent l'impression de se moquer de toi, parce que no turning back, baby.
quand tu rejoins ta place semi-molletonnée de classe économique, réalisant qu'il n'y aura pas de petite-brune-femme-de-ta-vie-en-puissance à côté de toi, tu t'amuses un peu avec tous les boutons pour te distraire, tu déballes l'oreiller, déplies la couette, vérifies les écouteurs. les hôtesses montrant les consignes de sécurité pour la sécurité de tous les voyageurs sont captivantes. à travers le hublot, le tarmac commence à vaciller, et les moteurs résonnent dans toute la carlingue.
quelle idée, d'écouter Under Pressure.
tu sens que tu prends de la vitesse, et chaque cellule de ton corps frémit quand tu réalises le moment précis où le freinage sera inutile. comme il n'y a que les pédés qui ferment les yeux quand ils ont peur, tu les fixes fermement sur la télé encastrée en face de toi. c'est là que tu es pris par surprise, que tu fais l'erreur impardonnable, que tu entends le rire machiavélique d'une némésis imaginaire. sur le fond d'écran bleu cruel, quatrième ligne, DISTANCE FROM DEPARTURE.
700m, 800m, 1Km, 2Km, 3Km, 5Km, 9Km, 10Km, tunereviendrasjamais.
chaque fois que le chiffre augmente, tu reprends un uppercut dans tes tripes, l'air n'arrive plus dans tes poumons, et tu hurles dans ton crâne pour qu'on te tire de ce merdier. gueule, petit, gueule, le business man à côté de toi n'écoute pas, il a branché sa musique relaxante et mâche consciencieusement sa Harvard Business Review, rien à branler de ces jeunes irresponsables qui se droguent, j'ai lu ça dans Le Point.
on est en train de t'expliquer, blanc sur bleu, ce que s'éloigner de chez soi veut dire, et tu te mets soudainement à voir ta maison dans tout ses détails, parce que, quand tu reviendras, elle sera complètement refaite. ton frère aura son bac, ta mère un nouveau boulot, ta copine un nouveau mec et ton beau-père une nouvelle vie. outsider.

ce n'est pas une existence purifiée, qui m'accueillera là-bas, ce sont des gardes rouges qui me foutront dans un taxi incompréhensible, avec ce qui reste de ma vie, dans trois valises à peine bondées.


ça va être génial.

in the backseat.

On est probablement tous d'accord pour dire que, plus longtemps on évitera de fonder une famille/acheter une maison/choisir une voiture/nourrir un fox-terrier, mieux on ira. sauf que, histoire de faire perdurer nos gènes, et de pouvoir avoir une fille dans son lit quotidiennement passé les quarante ans, on devra bien se saborder, dire au revoir au maximonstre lové derrière notre nombril. Sourire devant le joailler, sourire devant l'autel, sourire devant la maternité, sourire devant les nouveaux voisins, gueuler devant le berceau IKEA qui ne veut pas se monter.
Si t'es un mec, tu te feras vomir dessus par un gamin hilare, pendant que ta femme fera collection des couches sales. T'auras droit aux convocations par sa prof de maternelle parce que ton gamin se sera repu des goûters de ses congénères (et t'essaieras de ne pas faire sentir de fierté quand elle t'expliquera qu'il est scandaleux qu'il ait pu racketter un grand de CE1). Ta moitié te gavera de bouquins sur la sexualité expliquée au pubères et, tout les soirs, en rentrant de ce taff dont tu ne voulais pas, il faudra demander de baisser un peu la musique parce que papa/maman (t'as vu ? je suis pas misogyne) est fatigué. Déprime quand tu verras les fringues qu'il portera à sa rentrée en sixième, et il te regardera de haut quand tu laissera échapper « mouton de Panurge ».
Au bout d'un moment, tu te coucheras en te disant que tu n'as jamais eu de réelle conversation avec tes enfants, autour d'un thé dans ta cuisine américaine, au milieu de la nuit. Le sentiment poindra de plus en plus souvent, tu rachèteras même du darjeeling, au cas où. Pour s'intéresser un peu à sa vie, tu jetteras un coup d'oeil discret dans sa chambre; pas de livres pour un kindle, pas de chaîne hi-fi pour un iPodDeck, pas d'unité centrale pour un iPad relié à un clavier bluetooth. Alors, bon, tu l'obligeras à venir chez ses grand-parents, pour l'attirer dans le grenier, histoire de passer un moment paternel sur ton passé. « Tiens, écoute-ça, c'est pas mal. Ça faisait un tabac à mon époque. »
Forcément, il les prendra, rictus, avant de finir par finir le LT de son week-end à sa copine virtuelle.
Retour dans ta caisse pourrie, parce qu'il fallait bien en trouver une avec un lecteur CD en option, et qui fait que la chair de ta chair ne voudra pas se faire accompagner au lycée. Mal-à-l'aise, tu lui proposeras de mettre un des CD qu'on a ramené de chez grand-mère, mais il foutra ses doigts gras partout sur la face de lecture, alors tu t'énerveras un peu qu'il ne sache même pas comment ça marche, et tu ne feras pas vraiment attention à ce qui vient de se faire bouffer par l'auto-radio branlante. Ça te rappellera un truc. Ah, ouais, Oracular Spectacular. Le gosse sera emballé, t'écoutais trop de la bonne musique, en fait, tu devais être vachement un type cool ! Tout soulagé, tu le laisseras un peu jouer avec les autres albums, et il te fera retrouver Viva La Vida, Discovery, Black Album, celui de Jay-Z comme celui de Metallica et tu te retrouveras à te tromper de route pour rallonger le trajet. Tu passeras par la campagne, et les arbres s'inclineront sur votre passage. Dans ce futur, il fera déjà nuit, et ton fils/ta fille/ta fierté continuera de s'extasier devant les albums, quand tu te gareras brutalement. Non, tu n'y auras pas pensé plus tôt parce que, bon, à ton époque c'était une évidence qu'on n'évoquait même plus. Tu te retourneras précipitamment pour trouver un album sur la plage arrière. Tu lui montrraes la couverture, mais il n'en aura jamais entendu parler, ça n'aaura pas l'air exceptionnel, la jaquette sera en carton tout élimé, il pensera que tu n'y auras pas fait très attention, et on arrivera toujours pas à lire correctement le nom de l'artiste. Et toi de sourire comme un gamin qui va faire un cadeau au monde entier quand tu glisseras le cd dans le lecteur défaillant. Alors, en redémarrant doucement, tu laisseras les dix pépites remplir chaque coin de l'habitacle et recouvrir chaque pore de votre peau et vous passerez une éternité, sans rien dire, sur une route de campagne infinie, à savourer le meilleur moment de votre vie.

Et quand tu rentreras chez toi, ta femme inquiète n'aura pas le temps de t'engueuler parce que ton enfant lui aura dit, émerveillé, que Funeral est le plus bel album.

5.2.10

on fait avec ce qu'on a.

bon, il est trois heures du matin, je n'ai plus de cigarettes parce que j'ai laissé tomber la dernière dans une flaque de pisse clocharde, et on sait toi comme moi que c'est le moment où je te raconte ma vie, avec suffisamment de subtilité pour que ce ne soit pas évident aux yeux de la plèbe.
je reviens d'une soirée -pour une fois que je ne reviens pas du cinéma-, où j'ai encore croisé le regard de la femme de ma vie, celle à qui ressemblent aphrodite et la fille qui fait le background du compte twitter de lookbook.nu. à vrai dire, je l'ai croisé plusieurs fois, son regard, avec la chanson de new order qui tourne sans cesse (oh you've got green eyes, oh you've got blue eyes, oh you've got grey eyes and i never met anyone quite like you before, et huit minutes de sifflement à la con) dès qu'elle nous dévisageait, moi et mon insolente absence de sociabilité.
sauf qu'entre le moment où je me ressers de ce vin dégueulasse dans la cuisine bondée, et l'instant où j'appuie sur le bouton de l'ascenseur en me demandant pourquoi est-ce que personne n'a volé le bouquin de wilde qui traînait dans la chambre, il s'est passé quelque chose de merveilleux, qui a propulsé mon existence dans des dimensions qui assommeraient à nouveau isaac newton (celle-là est pour toi, gotlib).
elle m'a adressé la parole.
c'est le genre de trucs dont t'as un peu honte sur le moment, mais qui font beaucoup trop partie de toi pour être ignorés, comme cette fois où tu réalises que t'as fait exprès de mettre une chemise pour prendre un verre avec cette fille qui ne rentrerait pas chez les #meufsbonnes, ou que t'as pris cinq minutes pour expliquer avec ton plus beau sourire à une grand-mère comment aller au métro le plus proche, quand t'as volontairement fait rire la caissière du Leclerc qui tirait la gueule parce qu'elle a le pire boulot (et que sa queue de cheval lui allait outrageusement bien).

franchement, je pourrais continuer suffisamment longtemps pour faire pâlir le type qui a inventé le personnage du frère gay/suicidaire/spécialiste de proust dans little miss sunshine (trop facile de dire proust tout court), mais j'ai bien envie de finir la campagne des wookies sur star wars: galactic battlegrounds, alors je vais vous laisser en plan sans pitié d'aucune sorte.


et pour ceux qui ont senti leur enfance rappliquer en trombe quand j'ai mentionné gotlib, je fais mon grand seigneur, et je vous lâche le lien de son site, où il met en ligne des jeux vidéos qu'il a créé. pilote devrait avoir un compte twitter.

je suis célèbre, les mecs.

Le petit bourgeois gêné, légèrement juif, dont le nom a des consonances étranges de printemps, a oublié de régler son réveil, ce matin. Et ce n'est pas son absence de femme qui va le secouer en baragouinant que son café est prêt puisque, de toutes manières, il ne boit pas de café. Ne fût-ce que pour un thé, il aurait mieux fait de ne pas divorcer, d'endurer ses lèvres soliloquant sans arrêt, pour que Hercule se sente con, avec sa crécelle, et pour faire à cette salope un hommage muet digne de ce non. Ça sent le shit dans la chambre du fils, et on se bouche le nez pour penser à autre chose. Ça pue le shampooing dans le sillon de la fille, et on change de pièce pour effacer son avenir. Devant son muesli sans porc, c'est l'érection du matin, chagrin, depuis que la veuve d'à-côté offre ses mamelles à l'ensemble du firmament.
Secrètement, c'est l'american way of life qui te fait rêver, où tu peux discuter, défoncé, du Jefferson Airplane avec le rabbin, où tu peux rajouter une scène de horror-show dans un Irkoutsk moyen-âgeux au début de ton histoire quand tu réalises que t'as pas assez de rush, où tu peux te faire autant d'argent qu'en pleine pénurie de crack au fin fond du Bronx pour peu que tu aies un étudiant coréen, où tu peux remplir le box-office en faisant porter des chemisettes à motifs à tes héros, où le gamin qui veut te casser la gueule est trop gros pour te rattraper, où tu regardes secrètement la fille qui t'a accompagné ne pas comprendre les blagues, où ton père répare la télé sans que t'aies à le demander poliment.

Maintenant, à la télé, ils font passer Band Of Horses en bande-son du season finale de Kyle XY.