ma façon à moi d'organiser un voyage, c'est de voir des films. enfin, dans l'immédiat, organiser mon année, c'est demander à wong kar-wai de me vendre du rêve sur le mur blanc surplombant mon lit, et qui sert désormais plus comme toile de cinéma que comme mur porteur.
je ne suis jamais parti seul, dans une ville inconnue -on se comprend quand je dis ville inconnue, ça implique un peu d'exotisme, clermont-ferrand n'est pas shanghaï. les mecs qui te vendent le concept de winner dans des bouquins de papier glacé devraient préconiser ça, le voyage, pour remettre leurs pigeons en question.
départ d'orly, 06:28, ta mère en larme et ton frère qui essaie de s'en foutre, et t'es obligé de sourire, plus pour toi que pour eux. la cale de l'airbus a bouffé tes trois valises, les hauts-parleurs donnent l'impression de se moquer de toi, parce que no turning back, baby.
quand tu rejoins ta place semi-molletonnée de classe économique, réalisant qu'il n'y aura pas de petite-brune-femme-de-ta-vie-en-puissance à côté de toi, tu t'amuses un peu avec tous les boutons pour te distraire, tu déballes l'oreiller, déplies la couette, vérifies les écouteurs. les hôtesses montrant les consignes de sécurité pour la sécurité de tous les voyageurs sont captivantes. à travers le hublot, le tarmac commence à vaciller, et les moteurs résonnent dans toute la carlingue.
quelle idée, d'écouter Under Pressure.
tu sens que tu prends de la vitesse, et chaque cellule de ton corps frémit quand tu réalises le moment précis où le freinage sera inutile. comme il n'y a que les pédés qui ferment les yeux quand ils ont peur, tu les fixes fermement sur la télé encastrée en face de toi. c'est là que tu es pris par surprise, que tu fais l'erreur impardonnable, que tu entends le rire machiavélique d'une némésis imaginaire. sur le fond d'écran bleu cruel, quatrième ligne, DISTANCE FROM DEPARTURE.
700m, 800m, 1Km, 2Km, 3Km, 5Km, 9Km, 10Km, tunereviendrasjamais.
chaque fois que le chiffre augmente, tu reprends un uppercut dans tes tripes, l'air n'arrive plus dans tes poumons, et tu hurles dans ton crâne pour qu'on te tire de ce merdier. gueule, petit, gueule, le business man à côté de toi n'écoute pas, il a branché sa musique relaxante et mâche consciencieusement sa Harvard Business Review, rien à branler de ces jeunes irresponsables qui se droguent, j'ai lu ça dans Le Point.
on est en train de t'expliquer, blanc sur bleu, ce que s'éloigner de chez soi veut dire, et tu te mets soudainement à voir ta maison dans tout ses détails, parce que, quand tu reviendras, elle sera complètement refaite. ton frère aura son bac, ta mère un nouveau boulot, ta copine un nouveau mec et ton beau-père une nouvelle vie. outsider.
ce n'est pas une existence purifiée, qui m'accueillera là-bas, ce sont des gardes rouges qui me foutront dans un taxi incompréhensible, avec ce qui reste de ma vie, dans trois valises à peine bondées.
ça va être génial.