10.5.10

en cas de coup dur, je me casse.

ça n'était pas une coïncidence, ça n'était pas possible. ça n'était pas non plus orchestré par une sorte d'être divin/supérieur/architecte qui me se complaît à me voir danser dans la paume de sa main, c'était juste beaucoup trop prévisible et bien trop évident pour que je passe autant à côté.

la première de mes erreurs fut le billet de transilien qui partait avec le soleil, côte-à-côte depuis l'aube jusqu'à La Madeleine de je-ne-sais-plus-quoi. le réveil fut des plus ardus, un de ceux qui te donnent l'impression d'avoir à peine somnolé dans un bain de crasse, tant le gin tonic s'est substitué à ta transpiration. j'ai à peine eu le temps d'enfiler les mêmes fringues que la veille, de descendre deux litres d'eau et de balayer mes dents avec du mauvais dentifrice avant de trottiner faiblement jusqu'à la gare, ployant sous le poids de ma gueule. pas de douche, pas de rédemption. le bus tanguait terriblement, et même en me prenant pour un des capitaines courageux, je me retenais plus à l'ourlet de la toge de dieu qu'à ces poignées en plastique qui se balançaient devant mes lentilles desséchées. la gare était à l'image de ma boîte crânienne, grise, résonnante, et peu accueillante. checkpoint une fois assis dans le train. il y a toujours 0-0, mais le monde extérieur prend très clairement l'avantage. je règle mon ipod sur 'bass reducer' et laisse la main à pink floyd, parce que echoes est le plus easy listening qui soit et que je dois pas m'endormir sous peine de me retrouver à outreau, terminus, tout le monde descend.
cette journée va être bien trop intense pour mon état physique, chaque parcelle de mon corps va payer le prix fort d'arriver encore bourré à cette réunion de famille à deux balles. pourquoi les vieux ont-ils toujours besoin de créer des arbres généalogiques sur myheritage.com ? que les pères de famille soient contents de pouvoir se la coller sec dans une grande maison de campagne, sous le nez de sa femme et cautionné par les retrouvailles familiales, soit; mais, pour l'amour de dieu, épargnez les enfants (et, plus généralement, les jeunes qui ont un début de gueule de bois terrible). et les enfants. les enfants vont être tellement chiants. quand ils courent, au loin, en levant les bras et dodelinant du cul, c'est plutôt rigolo, je dois avouer. et puis le soleil aurait pu réchauffer petit à petit mon troisième ti punch pendant que tout le monde m'aurait foutu la paix, seul sur mon hamac comme je suis seul dans ce train. sauf que non. les enfants voudront me grimper dessus et savoir pourquoi est-ce que je fume. et qui c'est le bonhomme sur mon t-shirt. et pourquoi j'ai les cheveux longs. et pourquoi je viens pas jouer avec eux à la balancoire. seigneur, faites qu'il y ait. oh merde.
le train ne freine pas, mais c'est tout comme, l'évidence vient de se foutre sur la voie ferrée sans sommation aucune. il y aura. pour s'occuper des gamins, forcément. les hôtes la paient tellement bien quand elle vient à paris que, pour un déplacement surtaxé, l'appât du gain l'aura forcément poussé à venir baby-sitter quinze rejetons surexcités. on m'avait spécifié qu'il y en aurait une. ça ne peut être qu'elle. elle m'avait dit qu'elle l'avait déjà fait, ce genre de baby-sitting à la journée pour des réunions de grandes personnes, ce alors que j'effleurais sa main quelque part sous une église baroque (d'ailleurs, ce n'est pas une église baroque, mais le méfait d'une tendance début-du-siècle à relancer la mode baroque pour les nouveaux édifices religieux). elle sera là, forcément, c'est leur baby-sitter attitrée, c'est logique.
qu'est-ce que je vais bien pouvoir lui dire ? n'importe quel ressortissant du champ lexical de l'excuse lui donnera l'envie de m'étrangler avec ses si jolis petits doigts. pas la force de penser à quoi que ce soit d'autre. est-ce qu'on a déjà dit "salut, tu vas bien ?" à une guillotine ?
ça y est, je me traîne hors du train et remet pink floyd dans ma poche pour me jeter dans les bras de ma grande et aimante famille. avec un sourire ravi, si je veux un chèque pour noël. je ne suis même pas tendu, pour le trajet en voiture, que je suis incapable d'être en pleine descente de je-ne-sais-plus-bien-quoi (des truffes ?) ET tendu en même temps, quand bien même les jolis yeux d'une jeune fille seraient en jeu. je quitte mon enveloppe charnelle en plein dysfonctionnement pour n'être plus que pure idée, Fatalité fatiguée. qu'est-ce que je viens bien pouvoir lui dire ? à quoi est-ce que je vais bien pouvoir ressembler quand elle lèvera ses sourcils en me voyant atterrir ? "tiens, voilà au moins les vingt balles que je te dois, c'est déjà ça, non ?". ce serait amusant, mais non, pas en prenant en compte le fait qu'on sera à moins de cent mètres l'un de l'autre pendant huit heures.
l'air pur de la campagne me fouette le visage quand je me hisse hors de cette bagnole nouveau-riche, et j'ai de la peine à avancer -aussi parce que je n'ai pas fait mes lacets. si je me penche, je vomis. ses yeux brillaient tellement la dernière fois qu'elle a passé le palier de sa porte que je préfère éviter qu'elle rencontre aussi ma bile. il faut que je trouve une excuse pour ne pas l'avoir rappelée, autre que ma terreur de la revoir après cette nuit. sorryphonedeadlol. ou une excuse pour les atroces banalités que j'ai tapées sur un mail timide parce que je pensais alors que c'était cool d'être pété en écrivant à une jeune fille cultivée et de bonne famille.
c'est sa voix que j'ai entendu en premier, c'est sa voix, qui résonnait sur le carrelage de la pièce d'à-côté. sa voix qui avait enveloppé mon monde pendant une nuit, sans même qu'elle ait à enlever son soutien-gorges. celle qui avait enfin donné une définition de l'espoir dans son "tu m'écriras ?" d'adieu. et un peu celle de ma boite vocale où elle fait mine de prendre bêtement de mes nouvelles, sans que j'ai eu la force de décrocher. là, tout de suite, dans la dure réalité qui s'acharne contre ma volonté à coups de cordes vocales d'étudiante en école de commerce, je n'ai pas non plus la force. mais un grand-oncle que je n'ai jamais vu me pousse à l'intérieur, du bout de sa canne, comme dans un ring où je fixe mes chaussures, et où j'ai presque envie de refaire ces lacets plutôt que de croiser ses yeux bleus (quelle genre de meuf a les yeux bleus, de nos jours, à part les blondes sur myspace et les supporting characters des films de sundance ?).
raté. elle les lève au moment où je perds le contrôle des miens. le temps ne se fige pas, les mouches ne cessent pas de vrombir, ce moment ne semble pas durer des heures, il dure VRAIMENT le temps d'une vie. on aurait presque pu fonder une famille et avoir des petits-enfants. j'exagère. mais on aurait facilement pu épeler le mot awkward une demi-douzaine de fois. elle a souri. j'ai tendu les muscles de mes lèvres en retour et j'ai contourné le canapé par l'autre côté pour chercher un verre d'eau et un havre de paix. elle est là, elle est réelle, qu'est-ce que je fais, putain !? un autre verre d'eau. un autre. putain, ce verre est un verre à pinte volé dans un pub, c'est de l'acharnement thérapeutique, là. je peux jouer la carte du type qui savait qu'elle viendrait là et qui ne veut la voir qu'en vrai. faux. j'envoie des lettres à tout le monde sauf à elle. je suis plus crédible, je suis à découvert, en plein terrain miné, je vais finir avec des bleus partout.
une tante me prend par le bras et me ramène me présenter à ses consanguins dans le ring. digne, tant bien que sale, je me plante dos à la plus jolie de toutes pour faire connaissance de louison, qui a bien connu mon grand-père, et qui est content de voir tout ce beau monde parce que c'est la jeune génération qui compte. je dis oui, je prends l'air impliqué dans son bullshit sénile, et mes yeux perdent le focus de son double menton. focus sur la table de droite. focus sur une sorte de robot inanimé sur la cheminée. focus sur le miroir derrière louison et, à travers le miroir, focus dans des yeux bleus de fille de mes rêves qui brûlent mon échine comme ces enfants en larmes qu'on croise dans la rue et comme ces jeunes hommes tout seuls qui regardent les filles danser en boite de nuit et comme ce mec avec une cravate rose et les cheveux en brosse qui admire la lumière d'automne dans les marronniers de la municipalité, et comme ces mères qui soupirent au téléphone dans la queue du super-marché, et comme ces vendeuses de vêtements moches qui essaient de s'asseoir sans que leur boss ne les voit et comme ces chiens qui courent derrière des sacs plastiques blancs sans jamais s'arrêter et comme ces clochards qui te parlent poliment et comme ces avions qui arrivent à l'heure et comme ces chansons qui ne te déçoivent jamais, comme ces lèvres qui se fichent dans ta paume. focus sur le monde et son contraire, sur tout son amour, sa tristesse, sa merde et sa fatigue. alors je dis oui, je dis bien sûr et je dis quand vous voudrez, au contraire, ça me fait plaisir, oncle louison, et quand tu veux, toi aussi, délicieuse petite a. à qui je n'aurais jamais le courage de donner une réalité, de dire bonjour et d'écrire cette lettre que tu mérites mille fois plus que les autres.


et puis, après tout, on ne s'est vus qu'une fois, j'étais pas bien, je suis parti chercher du doliprane, et ne suis jamais revenu. j'avais un peu peur que tu t'échappes du miroir.

3 comments:

  1. "sauf que non. les enfants voudront me grimper dessus et savoir pourquoi est-ce que je fume. et qui c'est les bonhomme sur mon t-shirt. et pourquoi j'ai les cheveux longs. et pourquoi je viens pas jouer avec eux à la balancoire."

    celle-la elle est collector.

    ReplyDelete
  2. Je trouve ça fou que tu sois venu me lire. (oui je commente ici mais je suis allée lire plus loin) (j'étais déjà venue lire avant, en fait.)
    Je suis nulle en commentaires alors tout ce que j'ai à dire c'est que j'aime bien te lire.

    ReplyDelete
  3. "[...] ployant sous le poids de ma gueule. pas de douche, pas de rédemption."
    Rien que pour çà, merci.

    ReplyDelete