16.10.09

ce n'est pas vraiment le début.

Me voilà, courant le long du boulevard S., sans regarder des affiches colorées qui exaltent soldes, promotions et fermetures en attendant patiemment d'être dépassées, l'une après l'autre. Elles sont devenues le décor irréel d'une interminable piste de course qui n'existe que dans mon crâne. Je ne sais pas si je poursuis la tache bleue foncée aux bracelets dorés qui vient de s'engouffrer dans la rue de droite ou si je tente d'échapper à cette lueur tamisée, disparaissant peu à peu derrière mon épaule, du troisième étage d'un immeuble d'un appartement tout à fait correct du sixième arrondissement, quartier agréable, voisinage tranquille, préférant jeunes cadres riches et occupés, mais je suis conscient que je cours de toute mes forces, distordant mes muscles pour rattraper, ou pour fuir, une réalité à tête de femme. Il reste encore quelques passants solitaires, rentrant paisiblement au domicile conjugal, et de rares serveurs fatigués, fumant leur dernière cigarette avant leur débauche, qui me regardent d'un air curieux, comme on regarde un clochard qui refuse de faire l'aumône, ou une jeune fille qui s'est teint les cheveux en rose. On ne voit pas assez de gens courir. Le temps de parcourir une centaine de mètres, et je n'y fais déjà plus attention, et tous les spectateurs que j'ai laissé derrière moi ne se sont sans doute pas retournés.

Au-delà du simple effort physique, courir a l'étonnante faculté de nous faire oublier pourquoi nous faisons cela; arrivés à notre vitesse de croisière, l'esprit n'est plus monopolisé que par les reliefs du sol, ceux qui pourraient s'avérer être des appuis efficaces, ceux qu'il faut éviter sans perdre de temps, et par l'arrivée, par l'endroit, la chose ou l'individu qui perd alors toute définition pour ne devenir plus que ce qu'il faut atteindre, le plus vite possible. Le flux de pensées qui nous a poussés à nous précipiter à pleine vitesse au milieu des autres - des marcheurs-, se retire alors, somnole discrètement avant que des halètements et des douleurs à l'abdomen ne le préviennent de la fin du périple, et de la nécessité de reprendre nos esprits. De manière plus évidente, les regards, indignés ou curieux, que nous jettent les passants lorsque nous les esquivons prestement finissent par ne plus nous atteindre, et par ne plus être perçus. Et même si, de temps à autres, l'un ou l'autre nous adresse un discret sourire d'encouragement, nous libère le passage ou se contente simplement de se sentir concerné par l'effort que nous accomplissons, seuls comptent le regard que nous posons sur l'arrivée, et celui qu'elle daigne parfois nous adresser.

Dans l'immédiat, mon arrivée à moi, une jeune femme blonde, qui -ayant le même âge que moi- ne fait pas ses vingt-six ans, se dérobe aux contours floutés de mon champ de vision au bras d'une silhouette noire enchemisée et encravatée. Sa démarche et ses chaussures, bien que apparemment assurées parce que masculino-machiste, me frappèrent, la première fois que je les ai croisées sur le seuil de mon appartement, par leur habitude à fouler des tapis feutrés de bureaux à baies vitrées plutôt que toute autre surface. Et c'est à côté de ce genre de type que marche Charlotte. Dont le sillon vient d'être tranché dans le vif par un torrent de phares et de pneus, libérés subitement par l'apparition d'un feu vert. Je ne sais jamais quoi faire lorsque je vois mon trajet devenu subitement impraticable. Ma conscience redevient alerte, et cherche avec affolement un itinéraire alternatif qui n'interromprait pas le flux d'adrénaline qui m'a porté jusqu'ici. Je me risque à ne pas ralentir, et à utiliser le panneau Cédez Le Passage pour profiter le l'énergie centrifuge de mon corps et optimiser mon virage à droite. Réminiscences lycéennes d'un laboratoire de physique. Surprise, mon épaule s'engouffre en première dans la rue J., et par la même occasion, entre deux hommes, légèrement plus jeunes et moins bien habillés que moi, surpris sur le chemin du retour de leur bar qui sert des pintes à quatre euros par un fou à pleine vitesse. À bout de souffle, je me retourne brièvement vers eux pour leur adresser un coup d'œil désolé, puis continue ma route, enjambant les quelques mètres qui séparent deux voitures pour me retrouver sur le trottoir d'en face, tourner à gauche en ignorant les deux coups de klaxons qui me réprimandent. Deux devantures de bistrot plus loin, et c'est le coin de la rue B. -qui recèle Charlotte, ses ballerines noires et son sac à main en cuir mat-, le long de laquelle se dressent une demi-douzaine de voitures mal garées, autant de policiers griffonnant sur leurs calepins d'incessants numéros d'immatriculation, encore quelques passants innocemment éméchés, et un type anodin qui n'a toujours pas lâché la main de mon arrivée. Conscient d'avoir affaire à des individus à la fierté à fleur de peau, j'oscille précautionneusement entre procès-verbaux et matraques, sans néanmoins prendre trop de retard. Pourtant, elle s'éloigne de plus en plus de moi, alors même que son chevalier servant se rapproche dangereusement de sa belle et grosse auto, engin démoniaque qui ne fera qu'une bouchée de ses yeux en amande, couleur noisette. J'émerge enfin du slalom policier, et pense vaguement aux derniers cent mètres d'une course qu'avait regardée Juliette à la télé. Elle m'avait dit que le vainqueur était particulièrement bien foutu. Plus que cinquante mètres. C'est énorme, cinquante mètres, quand ils vous séparent de votre but, et que ce but s'apprête à aller faire l'amour à un con, probablement sur une banquette arrière en cuir clair. Pour la première fois, une jalousie longuement oubliée se réveille en pinçant mon ventre, et la testostérone vient se mélanger à l'adrénaline. Je me prépare à briser mon rythme de respiration pour lui crier de se retourner au moment où un dernier officier de police (ses épaulettes avaient l'air plus rutilantes que les autres) surgit d'un parking souterrain et se laisse percuter de plein fouet. Et merde. Je parcours sans grande conviction quelques derniers mètres avant qu'il ne me rattrape en poussant un juron.

6.10.09

les bouclés sont des cons, sauf quand ce sont les tiennes.

Je commençais à peine à découvrir l'art de tutoyer un lecteur, la discipline jouissive de répondre à ceux qu'on énerve, et la science délicieusement inexacte et foireuse de la critique de jazz avec boris v. quand j'ai vu que seize heures, l'heure fatidique, allait sonner. Il avait dit qu'il allait arriver à seize heures, pour passer prendre un café, généreusement offert mais qu'il ne remerciera pas, et s'enthousiasmer à propos la superbe rentrée qui s'annonce, dans cette magnifique ville, avec ces fantastiques habitants, sur lesquels il pleut déjà des cordes.

Pourquoi avais-je dit oui ? Parce qu'on avait passé un peu moins de six jours dans la même salle, pour préparer un concours qu'il n'avait pas réussi ? Parce qu'il m'a pris pour un « mec cool » avec qui il fallait qu'il garde contact (c'est mon ego qui parle, là) ? Parce que je suis le seul qu'il connaisse dans une ville où il a débarqué il y a cinq jours, de justesse ? En temps normal, j'aurais été intéressé, aussi bien par sa justification pratique que par la raison sous-jacente, mais puisque je suis devant le fait accompli, je n'ai qu'à subir ses allées et venues.

Je suppose que j'aurais pu refuser. Effectivement, ce n'aurait pas été très gentil, et ça l'aurait foutu dans la merde, mais le personnage que je m'invente n'en aurait eu que faire. À croire que je suis bien élevé, en fin de compte, et que -plus attristant encore- je suinte la même hypocrisie allègre que mes congénères. Et ce, parce que j'écris justement un article où je tente de ne pas citer son nom alors que les détails des six premières lignes suffisent à ce qu'il se reconnaisse. Non que vous soyez si nombreux que ça à me lire, mais le lien de ce blog est disponible sur facebook, et je n'arrive toujours pas à déterminer si c'est le genre de type à écumer les profils des mecs qui réussissent mieux que lui. Je veux dire, je les écume aussi, tous, sans discrimination, mais par pure curiosité, et pour voir ce à quoi ressemblent réellement mes contacts -ce n'est pas leur wall pollué de messages d'anniversaires et de vidéos populaires qui vont m'y aider. En y réfléchissant bien, il ne doit parcourir de son curseur blanc standard que les profils de ses contacts ayant spécifié avoir un vagin.

Ces divagations n'empêcheront pas l'heure de tourner et mon portable de vibrer, avec son prénom scintillant sur l'écran. Je décroche. Sa voix enjouée, légèrement traînante, me dit qu'il est en bas. Pas de problème, je descends t'ouvrir, dis-je avant de refermer un téléphone qui marche toujours lorsque l'enfer sur terre est à l'autre bout de la ligne (insurance salesmen are for pussies, woody). Je me redresse sur mon lit, laisse boris bataillant avec ses lecteurs bornés derrière-moi et laisse passer encore quelques secondes illusoires avant de me lever, récupérer au passage mes clés qui traînent sur la table de la cuisine et d'enjamber la valise (qu'il a laissé la dernière fois et que je n'ai pas touché depuis soixante-douze heures) vers la porte.

Effectivement, il est bien dehors, sans sourire -les vrais types véritablement insupportables ne sourient pas, vous avez remarqué ?-, affublé d'un air cool qu'il a probablement acheté en soldes au marché dimanche dernier. J'ai attrapé au vol une poignée de main quasiment élastique, amorphe, et je l'ai prié de rentrer avec un grand sourire, parce je suis vachement content de le revoir. Finalement, il rentre dans mon domaine et foule mes terres, atrocement décontracté,.et Sa main balance sa valise contre une de mes étagères bancales. « Merde, désolé ! ». Il a l'air confus, et préfère aller s'asseoir sur mon lit que de s'en aller le plus vite possible.

L'ersatz de conversation qui suivit m'ennuie trop pour que mes doigts aient le courage de le taper.

Ce genre de mec est rare.

16.9.09

gustavo dudamel is my homeboi.

depuis que mon rêve s'est réalisé -et que j'habite donc à moins de dix minutes à pied, cinq en courant, d'un cinéma- je passe plus de temps dans des salles sombres avec des inconnus muets que devant mon clavier. l'apprentissage de la vie.

récemment, j'ai pensé à un court-métrage qu'un mec talentueux pourrait faire sans que ça ne devienne atrocement ennuyant. filmer une histoire entre une fille -belle- et trois mecs -beaux ?- dans une sorte d'immeuble, un bâtiment administratif où ils pourraient se perdre dans les couloirs.

si je racontais tout, ce serait franchement crédible, voire alléchant. mais je suis au macdo, des voix incompréhensibles mugissent dans mon dos et des mâchoires ruminent de la fécule à ne plus savoir qu'en faire -même si, accordons-leur au moins ça, elles le font très bien. impossible de parler de tchaïkovsky dans de telles conditions. où même de se remémorer ce qu'il s'est passé en 1812.
même la date sonne bien, vous ne trouvez pas ?



vivement qu'un fonctionnaire suicidaire chez france telecom active ma prise internet.

19.7.09

on a quand même un peu honte de nos ballades.

Il habite dans un immeuble ressemblant à un HLM vaguement délabré, à peu-près propre et d'une couleur qui se veut être du blanc, parfois rehaussé des taches vertes que forment les plantes d'intérieur abandonnées sur le balcon. Ses parents, particulièrement protecteurs, même à mes yeux, lui y ont loué un appartement au troisième étage, de sorte que leur petit garçon -maintenant âgé de vingt ans- puisse avoir une jolie vue. Je gare ma mob branlante entre deux vélos dont je doute de la capacité à rouler correctement, et je sonne. Une voix dans l'interphone m'accueille aussi chaleureusement que le peut un boitier métallique, et m'ouvre pour que je puisse entrer, sans grande envie, dans une cage d'escalier en pierre blanche qui colle parfaitement avec les photographies de bâtiments soviétiques qui peuplaient les pages de mes livres d'histoire au collège -il ne manque qu'une statue glorifiant les efforts surhumains des valeureux travailleurs pour la perpétuation du Parti. Au troisième étage, une porte est entrouverte et laisse entendre une version live de Jimi Hendrix, probablement Woodstock, parce que si Oscar pense avoir des goûts musicaux déviant complètement de la norme imposée par les magnats de la publicité et les major démoniaques -pour reprendre son discours-, il reste quand même dans un domaine très classique.

C'est bien Hendrix qui joue quand je pénètre dans le bordel qui lui sert de domicile. On dirait Sarajevo à laquelle on aurait ajouté l'intégralité des ordures de Naples. Lui est affalé sur un canapé-lit, même si je ne sais pas si il est configuré en canapé ou en lit, devant son ordinateur sur lequel, la musique venant justement de l'ordinateur, il est entrain de regarder le concert, encore inconscient de mon arrivée. Le plancher est jonché de vêtements, propres et sales, de disques, de dessins -tous inachevés-, de poèmes -aussi aboutis que les dessins-, ainsi que de plein d'autres choses que je n'arrive pas à identifier excepté, trônant au milieu de ce dépotoir, une botte abandonnée, appartenant visiblement à une fille (ce qui, de la part d'Oscar, est étonnant), de laquelle s'échappe de la barbe à papa d'un rose fané. Ou peut-être une mousse de bain amenée par cette fille (d'autant plus stupéfiant). Elle s'échappe nonchalamment de la botte, et vient s'aplatir doucement sur une poche plastique de supermarché noir, caractéristique de ces établissements vendant des produits pour adultes uniquement, sur laquelle le rose devient peu à peu mauve. Purple Haze.

- Tu veux une bière ? me demande-t-il une fois qu'il a réalisé ma présence.

- Avec plaisir, mon gros.

- Va te faire foutre, le matheux, rétorque-t-il alors qu'il pioche dans le tiroir d'une table de nuit bordant le canapé, pour en retirer une canette affublée d'un autocollant indiquant qu'elle était en soldes.

C'est parce qu'il pèse quatre-vingt-cinq kilos pour son mètre soixante qu'Oscar apprécie peu qu'on fasse une remarque, quelle qu'elle soit, sur le ventre qui pointe timidement sous son tee-shirt des Clash; le même que les petits bourgeois achètent une fortune chez Zadig & Voltaire. Et, forcément, tout artiste qu'il est, il considère les maths comme l'instrument utilisé par Satan (et les multinationales) pour pénétrer l'esprit des humains sans défense. Je décapsule et cherche vainement un verre propre dans ce foutoir tandis qu'il fait de même avec sa bière et ses dents. Sans prendre la peine de chercher un quelconque récipient. Il finit par me demander d'une voix joyeuse comment je vais. Je lui réponds que je vais bien. Il dit que c'est bien.

- Et toi ? Tu fais quoi de ta vie, maintenant que t'as quitté ta fac d'histoire de l'art ?

- La fac, ce n'était que de l'art formalisé pour correspondre aux esprits formatés par le système scolaire français, mec.

Ses sourcils ont l'air tout à fait sérieux. Je lui souris et rétorque:

- Épargne-moi tes vues politico-bidon et dis-moi ce que tu fais de ta vie, maintenant que tu as échappé aux griffes de ces enseignants démoniaques.

Il prend une grande, grande gorgée de bière.

- J'ai monté une association.

- Sérieusement ? Quel genre ? dis-je, impressionné.

- Une assoc' culturelle, pour montrer à tout le monde ce qui bouge à Bordeaux. Parce que, tu vois, il y a vingt ans, Bordeaux, c'était LA ville rock de France. C'était LA ville où ça bougeait.

- Et maintenant, c'est quelle ville, LA ville rock ?

- Je sais pas.

Un blanc, qu'il comble avec une gorgée de bière avant de reprendre.

- Tout ce que je sais, c'est que c'est à nous, les jeunes générations, de reconstruire ce patrimoine culturel et artistique.

Il se redresse pour continuer. Je sens que le discours qui s'annonce, il a déjà du le répéter des dizaines de fois devant tout ceux qui lui ont posé la question de son avenir, et devant les quelques sponsors auxquels il a tenté d'obtenir un soutien financier pour imprimer des cartes de visite, et avoir l'air plus crédible face aux patrons de pubs et de salles de concerts qui -j'évite de le dire devant lui- voient défiler devant eux des dizaines de ces aspirants managers/rockers s'imaginant aussi bien uniques qu'undergrounds.

- Tu vois, ce que j'aimerais, ce serait d'abord monter des festivals dans lesquels n'importe qui pourrait jouer, des lycéens qui débutent aux types qui commencent à se faire bien connaître sur Bordeaux, un truc vachement éclectique (c'est probablement le seul mot qu'il a retenu de ses cours de littérature). Et puis, une fois qu'on sera bien connus, qu'on aura des contacts dans le milieu -dans sa bouche, le milieu prend une dimension quasi-mythique: une fois dans le milieu, tout devient possible-, ce serait monter un bar, associatif ou non, on s'en fout, mais un bar qui puisse enfin rassembler toutes les courants artistiques qui sont présents dans cette ville. Parce qu'il y en a ! Il y en a partout, il suffit de savoir les dénicher, et leur demander de jouer, d'exposer, de projeter, dans un bar qui serait connu aussi bien par les initiés que par des Bordelais qui, pour l'instant, n'ont rien à branler de ce qui se passe dans leur ville. Ce serait ça, mon avenir, un bar, avec une salle qui servirait pour des concerts, des projections, des pièces de théâtre, des expositions, et où on serait assuré de pouvoir aller chaque soir de l'année en y trouvant quelque chose de différent et d'intéressant, avec des pintes à volonté.

Forcément, les pintes sont toujours présentes dans son imaginaire.

Je reste légèrement dubitatif, en faisant de mon mieux pour ne pas le montrer, au milieu de cet appartement bordélique qui en dit long sur ses capacités d'organisation et sur les éventuelles visites du service d'hygiène dans son futur bar-terre promise.

- Mais tu sais ce que ça coûte, de monter un bar ? Entre le fond de commerce, les locaux, les licences de vente d'alcool...

À ces mots, ses lèvres se disjoignent en un petit rictus de dégoût.

- Mais on s'en fout, Vladimir, on s'en fout ! L'administration tue l'inspiration !

- Non, l'administration ne tue pas l'inspiration, elle lui donne une forme réelle dans notre société.

- Justement ! Donner un corps à l'inspiration la dénature, ce n'est pas possible, ce n'est pas concevable. En fait, je vois l'ensemble de notre société, comme tu le dis, comme séparée entre deux côtés opposés. Non, plus qu'opposés, ils sont antagonistes. D'une part, il y a l'impulsion, le désir, l'amour de l'imagination, tout ce que tu voudras...; et de l'autre, la réglementation, ma bureaucratie, la rationalisation et l'intégration dans une société « bien-pensante ».

- Et comment ferais-tu pour monter ton bar hors de cette société ?

- Je ne sais pas; mais si je savais, c'est que j'aurais pensé mon projet en fonction de cette société qui impose à tous une responsabilité qui n'est souvent pas nécessaire et, si je m'en tiens à la philosophie de mon projet, c'est exactement ce que je ne dois pas faire.

Je me dis qu'il a enfin fini par émettre une affirmation d'un niveau un peu plus élevé que tout ce qui a précédé. Et pourtant, au risque de briser l'impression qu'il me fait, il reprend de plus belle.

- Et mon rêve à moi, c'est de justement de n'avoir jamais à avoir à prendre de responsabilité.

Et voilà. Il est retombé dans les abysses de mon estime. Comme Hendrix psalmodie toujours dans les baffles bon marché (apparemment, l'une d'entre elles a été perforée par un plomb) de son ordinateur portable, je prends une longue gorgée de bière et j'attends. Il attend aussi, et pendant une dizaine de minutes, nous ne disons rien, jusqu'à ce que je lui demande de me passer une autre bière. Je ne sais pas combien de temps nous nous sommes regardés, je n'arrive pas à estimer le temps par la simple luminosité du soleil.

Il me parle un peu de ses conquêtes, sans jamais admettre qu'elles étaient mineures et ivres. Il me parle beaucoup de musique, croyant que je le vois comme complètement underground, en tant que musicien -même si, justement, il n'a pas le moindre talent musical. Il me parle aussi de ses films, de ceux qu'il aime, de ceux qu'il réalise, de ceux qu'il aimerait réaliser. Vers la fin du concert de Jimi qui tourne encore en fond sonore, il me ressort son projet de bar, afin d'obtenir mon approbation, si ce n'est mon admiration, en redoublant d'efforts et d'emphase sur la manière dont son projet est merveilleusement bien goupillé. Je crois même qu'il a mentionné « boîte de prod' », vers la fin.

Ils finissent par me fatiguer, sa philosophie tirée de Peter Pan et lui, je le lui dis et m'en vais. Alors que je passe la porte, je l'entends crier, juste avant que la porte ne claque violemment, emportée par un courant d'air:

- T'as raison, mec, ça c'est rock & roll !

En redescendant les escaliers, je me demande depuis quand est-ce que je suis devenu rock & roll, ce que ça veut exactement dire, et si ça vaut le coup que je mette ça sur mon CV.

10.5.09

celle-là est pour toi, petit bridé.

ça faisait un bout de temps que je n'avais pas écrit ici, parce que j'ai une paresse insurmontable de recopier sur mon ordinateur ce que j'arrive à peine à déchiffrer sur des feuilles.
et puis, comme je m'ennuyais un peu moins, récemment, j'avais pas le temps de faire quoi que ce soit tout court.

force&honneur.