31.3.10

dès que j'ai torché cet article, je fume une clope.

Allez savoir pourquoi est-ce qu'il gardait son bonnet à l'intérieur du bar. Si il voulait impressionner les filles qu'il aurait sûrement d'ici à ce que le soleil se lève, on était du mauvais côté de la rue. En face, la jet-set provinciale se délecte de verres de vin en jouant au billard, au rythme des motos-crottes qui défilent devant leurs ersatz de ray-ban multicolores. J'avais insisté pour qu'on délaisse l'Apollo (quel genre de con inconscient peut appeler son bar l'Apollo ?) et qu'on triple le chiffre d'affaires du PMU d'en face en y prenant deux pintes. Et maintenant, les trois vieillards avachis au comptoir fixent son bonnet de leurs yeux luisants, ravis d'avoir un peu de distraction. Je prends une inspiration, puis une gorgée de mauvaise bière:

- Tu sais, j'ai une théorie.
- Sur quoi ?
- Sur pourquoi est-ce qu'il y a tant de monde autour de moi que je trouve terriblement insipide. Et j'emmerde ton sourire en coin.
- Vas-y.
- Ben, pour te situer le truc, je prenais un café place de l'Utopia, avant la grande salope qui est partie m'oublier à l'école du Louvre, et on subissait la conversation de deux meufs derrière nous. Sincèrement, elles avaient pas l'air particulièrement connes. Elles s'exprimaient correctement, quoi. Quand celle qui n'est plus que la meuf au gros seins m'ayant payé un café partit pisser, j'ai écouté leur conversation, parce que je refusais de déchirer un emballage de sucre en poudre comme font tous les stressés pubères.
- Ça se comprend.
- Ouais, non, tu peux pas comprendre parce qu'elles n'étaient même pas jolies. Bref. Donc l'une des deux raconte un truc, son week-end, je crois, où elle devait passer une sorte de concours de chant lyrique...
- Bourgeoise.
- C'est ça. Donc, elle a plus ou moins passé deux jours à faire ce qu'elle aime avec toutes ses camarades de conservatoire, ou je ne sais pas comment tu appelles ça, et elle a adoré ça, vu le ton de sa voix. Et puis, ça s'est dégradé, salement, son timbre a commencé à vaciller dès lors qu'elle expliquait qu'elle s'était faite voler la première place par une pute qui ne le méritait pas et qui lui avait aussi volé son copain, ou essayé de voler son copain, mais on s'en branle un peu, de ça.
- Ouais, carrément, ce bar schlingue, dépêche, et viens-en au fait.
- Crève. Donc, la meuf sort un truc qui m'a un peu perturbé. Elle a dit, si je m'en souviens bien, "je n'avais jamais pleuré de révolte, avant". Et là, je me suis retourné discrètement, genre je galère à allumer ma clope dans le vent et ça se voyait, mec. Sur son visage, on voyait qu'elle avait pleuré de révolte. Je veux dire, elle était maquillée, elle sirotait son cappuccino comme une grande fille, tout était pour le mieux autour d'elle, mais moi je le savais. Je vais pas te taper une description à deux balles, mais il y avait quelque chose quelque part dans sa gueule qui hurlait à la face du monde que, non, elle n'était plus dupe, qu'elle avait mis son doigt dans l'oeil de dieu, que c'était un connard aléatoire, et qu'elle n'attendait plus rien du reste.
- Genre t'as vu tout ça sur son visage.

Je me tais, finis mon verre.

- Mon point, c'est que, au-delà de la révolte, les seules personnes que j'estime vraiment sont celles qui savent pleurer. Le rire, tu fous un marocain sur scène et il se fait bidonner toute la France. La poésie, tu travailles ta com' à la Fnac et à Virgin pour les vendre comme des petits pains en alexandrins. La musique, tu regardes la Nouvelle Star pour compenser ton manque béant de talent sans faire quoi que ce soit pour y remédier. Je te passe tous les autres trucs que des moustachus du dix-septième siècle ont pu trouver pour définir l'humanité. Le fait est que nous sommes trop peu nombreux à prendre notre pied au milieu de nos larmes, à savoir que notre désespoir nous inonde de bonheur, où ne serait-ce qu'à déverser nos réserves lacrymales sur des détails auxquels personne ne fait attention. Ce n'est pas forcément un signe de faiblesse, c'est juste la preuve obscène qu'on assume le fait d'être nuls. D'ailleurs, la fille, elle, elle est repartie avec le sourire.

Il ne dit rien, soulève ses sourcils, mais ne pipe mot. Moi, je n'ai plus rien à boire, donc j'enchaîne.

- Et je crois que je ne t'ai jamais vu pleurer.

- C'est normal, je suis pas une tapette.

1 comment:

  1. Bien mec... A moi la clope maintenant. Lire ça après avoir lâché une larme idiote devant les Tenenbaum, je me sens aussi sain que malsain.

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